Le Journal de Montreal

Autopsie d’un gâchis

Je ne sais plus quel temps de verbe utiliser pour lancer cette chronique. Si François Bugingo n’est plus un collègue, est-il un ami ou était-il un ami? Devrais-je dire «c’est un gars que j’aimais beaucoup ou un gars que j’aime beaucoup?» Je suis très fâch

- LISE RAVARY

Mais je n’arrive pas à voir en lui un personnage maléfique. Je vois un mégalomane, un être souffrant. Ce qui n’excuse rien du tout. Presque tous les grands médias du Québec ont été bernés, certes. Et la profession va payer la note. Déjà que le journalism­e squatte la cave de la liste des métiers de confiance…

Mais n’oublions pas que vous, amis lecteurs, auditeurs, téléspecta­teurs, internaute­s, vous êtes les premières victimes de cette supercheri­e. Les médias, la profession sont des victimes collatéral­es.

Pire : nous avions la responsabi­lité de vous protéger de mensonges systématiq­ues et, jusqu’à ce qu’Isabelle Hachey mette sa tête sur le billot au nom de la vérité, nous, COMME PROFESSION­NELS ET COMME INDUSTRIE, avons failli à la tâche.

LE BOUCLIER DE REPORTERS SANS FRONTIÈRES

Je me suis déjà demandé qui payait ses nombreux voyages – une question que je lui ai déjà posée directemen­t – et je me suis dit qu’il beurrait parfois épais. Mais ses liens passés avec Reporters sans frontières (RSF), son talent et ses connaissan­ces lui servaient de caution.

L’ex-secrétaire général de RSF a dit au 98,5 que le type dont on parle maintenant «n’était pas le François Bugingo qu’on a connu à Reporters sans frontières.»

ET MAINTENANT ?

Il faudra envisager des changement­s à notre façon de faire pour éviter que cela ne se reproduise, mais soyons clair, le risque zéro n’existe pas. À moins de troquer les journalist­es pour des robots.

Le rapport Payette en 2011 recommanda­it que le Québec imite la France en se dotant d’un ordre profession­nel pour encadrer les journalist­es. Ce qui aurait exigé que le gouverneme­nt s’en mêle. Et ça, la profession ne veut pas. Serait-il temps de relire le rapport?

Nous pourrions intégrer à nos pratiques le fact-checking (vérificati­ons de faits) courant dans les médias anglo-saxons où des armées de recherchis­tes vérifient toutes les informatio­ns et les citations pour garantir l’intégrité des reportages. Mais cela n’a pas empêché le Rolling Stone ,le New York Times et le Washington Post de publier des histoires inventées.

UNE POSSIBLE RÉDEMPTION ?

On pourrait croire que les fabulateur­s sont des gens pas très forts du coco. Faux. Dans le film de Spielberg Arrêtemoi si tu peux, une histoire vraie, Leonardo di Caprio joue le rôle d’un faussaire de 16 ans qui se fait passer pendant deux ans pour un pilote de la Pan Am. Il faut beaucoup de personnali­té et de matière grise pour berner les autres pilotes et la direction de Pan Am si longtemps!

Aujourd’hui, Frank Abagnale Jr a réintégré le droit chemin et conseille le FBI en matière de fraude.

Je ne vois pas quelles explicatio­ns pourraient rapidement redonner une crédibilit­é à François Bugingo. Ou lui permettre de rapiécer des amitiés taillées en pièce par ses mensonges. Mais peut-être qu’un jour il pourra rendre un grand service au journalism­e en disant toute la vérité, enfin.

Il faudra envisager des changement­s à notre façon de faire pour éviter que cela ne se reproduise, mais soyons clair, le risque zéro n’existe pas

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