Russell Banks la voix des gens ordinaires
Un membre permanent de la famille Avec son tout nouveau recueil de nouvelles, Russell Banks, un auteur américain qu’on vénère depuis des lustres, réussit à nous remuer les tripes 12 fois plutôt qu’une.
Si on ne jure encore que par les nouvelles de Raymond Carver, il serait peutêtre grand temps de passer à celles de Russell Banks: tous les textes réunis dans
Un membre permanent de la famille , sixième recueil de ce brillant écrivain américain qui nous a entre autres donné
De beaux lendemains , Sous le règne de
Bone ouA merican darling , sont en effet à ce point bouleversants et déstabilisants qu’on défie quiconque de les lire sans broncher. Car à près de 75ans, Russell Banks a compris depuis belle lurette que les fins heureuses n’existaient généralement que dans les contes de fées.
«Je m’intéresse surtout à la vie des gens ordinaires, à la vie des gens à qui on prête habituellement peu d’attention, explique Russell Banks, qu’on a eu la chance de joindre en janvier dernier lors de son passage à Paris. Qu’ils vivent dans un mobile home , qu’ils travaillent dans un restaurant, qu’ils vendent des articles de plomberie, qu’ils soient à la recherche d’un boulot ou qu’ils songent à prendre leur retraite, leur existence est aussi compliquée que celles des personnalités riches et célèbres. Sauf qu’on n’en entend beaucoup moins parler, même s’ils appartiennent à la majorité…»
Des traNches De vie Pas BaNales
Tout bon recueil de nouvelles réclamant 10, 12 ou 15 fois l’immense effort de camper décor et intrigue en quelques pages seulement, de nombreux écrivains ont d’emblée le réflexe d’éviter pareil travail. Pour Russell Banks, cet exercice a cependant été presque aussi reposant que des vacances à la plage. «J’ai rédigé quatre romans en 12 ans et après avoir terminé Lost Memory of Skin – publié chez Actes Sud en 2012 sous le titre Lointain souvenir de la peau –, je me sentais trop fatigué pour en commencer un autre, confie Russell Banks. Jusque-là, je n’écrivais des nouvelles que de façon très sporadique et au bout de quelques années, je finissais par en tirer un livre. Rien de tel avec Un membre permanent
de la famille : j’ai écrit les 12 histoires qui le composent en un an, les nouvelles utilisant une autre partie de mon cerveau! Grâce à elles, je peux entrer rapidement dans l’intimité des personnages pour me concentrer sur un moment ou un événement précis de leur vie. En d’autres termes, les nouvelles sont comme les liaisons amoureuses: brèves et intenses. Quant aux romans, je les compare plutôt au mariage: une longue relation qui réclame quantité de compromis…»
Sans jamais chercher ni même songer à ménager notre sensibilité, Russell Banks nous entraînera ainsi tour à tour dans l’univers assez glauque d’un septuagénaire sans le sou trop orgueilleux pour accepter l’aide financière de ses deux fils ( Ancien marine ), d’un conducteur d’excavatrice qui creusera davantage le fossé entre lui et son ex-femme en errant dans la somptueuse demeure qu’elle partage désormais avec son nouveau mari ( Fête de Noël ), d’un artiste plasticien qui, en gagnant un prix MacArthur, perdra surtout toutes ses illusions ( Big Dog ), ou d’une mère à la cinquantaine usée incapable de ne pas courir à la morgue chaque fois que le corps non identifié d’une blanche est retrouvé ( À la recherche de Veronica ).
Bleu comme l’eNfer
Et puis il y a Blue , septième nouvelle du recueil, qui mériterait à elle seule une pleine page de louanges.
«Dans une boîte, je conserve précieusement notes griffonnées, articles et coupures de journaux susceptibles de me servir un jour, précise Russel Banks. Dans le lot, il y avait notamment un entrefilet racontant les déboires d’une femme du Midwest qui a accidentellement été enfermée dans un parc de voitures. Cette femme a donc appelé une station de télévision, laquelle a ensuite contacté le concessionnaire pour qu’elle soit libérée. C’est là que je me suis demandé qu’est-ce qui se serait passé si ce genre de mésaventure était arrivé à une Noire de Miami.»
On pourrait bien sûr en dresser les grandes lignes, mais on préfère laisser à chacun le soin de lire Blue et de découvrir quel sort Russell Banks réserve à Ventana Robertson, une Noire de 47 ans qui aura la très mauvaise idée de se pointer chez Sunshine Cars USA juste avant l’heure de la fermeture. «Généralement, jusqu’aux tout derniers paragraphes, je ne sais pas moi-même comment mes nouvelles vont se terminer, affirme l’auteur. La seule chose que je sais, c’est qu’elles doivent refléter la réalité.»