Le Journal de Montreal - Weekend
TOUS LES SIGNES ÉTAIENT PRÉSENTS
Inspiré d’une histoire vraie, malheureusement, Philippe Besson raconte le chagrin, la colère, la culpabilité et tout un apprentissage – réapprendre à vivre – vécu par un frère et une soeur qui viennent d’apprendre qu’un drame s’est produit dans leur famille. Ceci n’est pas un fait divers ,son nouveau roman, raconte l’innommable : « Papa vient de tuer maman ». Un livre percutant, dérangeant, qui décortique le drame et la dure réalité des survivants.
Léa, 13 ans, et son frère, 19 ans, ont grandi à Blanquefort, en Gironde. L’aîné a quitté la maison familiale à 14 ans pour aller étudier la danse à Paris. Lorsqu’il reçoit un appel affolé de sa soeur Léa lui annonçant que leur mère a succombé sous ses yeux aux coups de leur père, il appelle la police et saute dans un train pour aller la retrouver.
En chemin, il est pris de remords d’être parti depuis cinq ans, se sent coupable d’avoir laissé sa soeur avec ses parents, un couple aux relations difficiles.
Une fois sur place, il est confronté à la réalité : les gendarmes, les questions, la scène, le père fugitif, recherché par la police, et sa soeur traumatisée et mutique. Il remonte le cours du temps pour tenter de comprendre ce qui s’est passé. Tous les signes avant-coureurs de la tragédie étaient là, mais personne n’a rien vu, personne n’a rien fait.
UNE RENCONTRE MARQUANTE
En entrevue téléphonique, Philippe Besson raconte la genèse de ce roman difficile à écrire.
« C’était un sujet qui me bouleversait, comme bien d’autres gens, chaque fois que tu vois les statistiques, qu’on te parle des violences familiales, des féminicides, avec ces décomptes macabres. »
Un jour, par le plus grand des hasards, il a fait la connaissance d’un jeune homme – celui à qui le livre est dédié.
« Il a fini par me dire : “Il faut que je te dise quelque chose. Mon père a tué ma mère.” Et là, je suis tombé à la renverse. Évidemment, j’étais dans une forme de sidération et de silence face à cet aveu. C’est une phrase qui te réduit au silence : tu ne sais pas quoi dire. »
Il lui a demandé pourquoi il ne lui en avait pas parlé plus tôt. Et le jeune homme lui a expliqué ce qu’il vivait.
« Il m’a dit : Nous, on est des victimes collatérales et le féminicide, ça emporte tout. C’est un trou noir, et nous, on ne peut pas exister à côté de ce trou noir, donc on est des victimes invisibles et des victimes silencieuses. Et de toute façon, on n’a pas les mots et on ne saurait pas en parler. »
« IL FAUT ÉCRIRE LÀ-DESSUS »
Ces propos, ainsi que d’autres témoignages de victimes collatérales, ont marqué Philippe Besson.
« Je me suis dit : il faut écrire là-dessus. C’est impossible de laisser ça sous silence. Il faut essayer de raconter la vérité nue, la vérité sensible, et toutes les étapes de ce calvaire par lequel les enfants passent. Parce qu’ils ne sont pas juste des victimes collatérales : ce sont des gens qui souvent sont brisés pour longtemps, parfois pour toujours.
Et qui auront beaucoup de mal à se reconstruire. »
NE JAMAIS ÊTRE IMPUDIQUE
L’écrivain a décidé d’écrire sur ce sujet sensible, pour lequel il devait prendre beaucoup de précautions pour ne jamais être impudique et rester dans une forme de décence.
« Ce qui m’importait, c’était de décrire tous les états sentimentaux, psychologiques, par lesquels les enfants passent. »
« La sidération, d’abord, ensuite le chagrin parce qu’ils ont perdu leur mère dans des conditions épouvantables, et puis la colère, parce que c’est leur père qui a tué. Ils sont face à cet homme qu’ils ne reconnaissent plus. C’est pour eux une dévastation et un courroux très grand. »
Philippe Besson est un écrivain français de premier plan.
Il a publié une vingtaine de romans aux éditions Julliard, dont Son frère, adapté au cinéma par Patrice Chéreau.
Il a aussi écrit L’arrière-saison (Grand Prix RTL-Lire), Arrête avec tes mensonges (prix Maison de la Presse), Le dernier enfant et Paris-Briançon.
Il habite à Bordeaux.