Le Journal de Montreal - Weekend
UNE CELLULE DANS SA COUR
Fini les prisons ! Aux citoyens plutôt de surveiller les détenus. Et ça ne va pas sans mal.
Cassie Bérard aime les univers hors du commun. Son précédent roman, La valeur de l’inconnue, nous plongeait dans une intrigue où mathématiques et physique se mêlaient. Et elle arrivait à tout simplifier !
Avec L’équilibre, il est cette fois question d’une grande réforme du système carcéral canadien, mise en place dans un futur proche.
De la même manière que le hasard désigne quel citoyen sera juré à un procès, c’est dorénavant un tirage au sort qui détermine sur quel terrain privé une cellule sera installée.
Son propriétaire n’a aucun droit de refus. Au contraire, il est tenu de prendre soin de « son » prisonnier, qu’il soit violeur ou meurtrier. Pas question de devenir amis, mais interdiction formelle de le maltraiter !
Et qui contrôle les portes des cellules ? D’autres citoyens, appelés ouvreurs, qui ne peuvent révéler à personne la mission qu’on leur a confiée.
Bien sûr, il y a toute une structure pour s’assurer que ça fonctionne. C’est le travail d’Estelle, personnage central du récit, et de ses collègues du Bureau d’inspection pénitentiaire.
FAILLES DANS LE SYSTÈME
Or, depuis peu, ils sont débordés : on l’apprend d’entrée de jeu, ce qui est heureux. Plutôt que de s’interroger longuement sur le caractère plausible d’une réforme aussi radicale et de ce qui l’a motivée (les ravages d’une pandémie, apprendra-t-on plus loin !), on est immédiatement plongés dans l’action. Donc aussitôt accrochés.
Les évasions se multiplient sans que les inspecteurs comprennent comment. Et les rivalités au sein du Bureau n’aident pas à résoudre le mystère. Pourtant, il y a urgence en la demeure !
Parallèlement, on suit – du moins en pensées ! – un prisonnier qui observe la famille qui le garde. Contrairement à d’autres détenus, il n’est pas du genre à injurier ses geôliers. Néanmoins, comme il le constate, sa seule présence est obsédante pour eux.
Le roman a enfin un troisième pivot : un professeur, spécialiste de l’éthique, qui a travaillé avec le Parti citoyen à mettre en place le nouveau système. Dix ans plus tard, il en voit les failles et a de plus en plus de mal à le défendre.
Cassie Bérard réussit à rester très terre-à-terre dans cette invention de son cru. Elle nous promène en Montérégie, entre Saint-Lambert et Granby, en déroulant une véritable enquête, comme dans un polar classique.
Mais, mine de rien, elle parsème le tout d’observations sur le sens de la liberté et des responsabilités. Quand le poids de celles-ci repose sur les individus plutôt que sur les institutions, est-on collectivement mieux servis ?
Elle exploite aussi habilement toute la thématique de la solitude, poussée à son paroxysme chez le prisonnier, dorénavant même privé de la communauté d’un pénitencier. Mais elle s’avère aussi chez un enfant rejeté, chez des citoyens impuissants, ou chez des professionnels qui cherchent tout àcoupunsensà leur travail.
Après tant de suspense, la finale apparaîtra bâclée, mais la belle originalité du récit, elle, perdurera.