Le Journal de Montreal - Weekend
LES LEÇONS D’UN ESPRIT FRAGILE
Avec Le Roitelet, on est plongé dans le quotidien tranquille d’un écrivain qui relate la vie discrète de son frère schizophrène, et c’est captivant !
Les deux frères mis en scène dans Le Roitelet vivent à la campagne et sont quasi-voisins, donc se fréquentent d’abondance pour parfois parler, plus souvent se taire et regarder défiler les jours.
De ce peu-là, Jean-François Beauchemin – à nouveau puisque c’est son 23e ouvrage — arrive à tirer les infinies nuances de l’existence humaine dans une langue soyeuse où les mots font du bien.
Dans l’une des fulgurances qui, de temps à autre, ponctuent les propos du frère malade, on entend que « l’existence même la plus fragile, la plus diminuée ou la plus impuissante vaut la peine qu’on s’y intéresse vraiment ». Ce roman en est la démonstration.
C’est l’écrivain qui narre le récit et il remonte à l’adolescence de son frère, de deux ans plus jeune, pour faire voir comment celui qui était un enfant imprévisible et épatant s’est mis à décrocher du réel.
Ce frère va peu à peu s’enfermer dans sa bulle et voir le monde à sa façon, ce qui ne manque pas de charme ou d’intelligence.
Mais il y a aussi des moments très durs, que même le regard généreux de Beauchemin n’arrive pas à amoindrir. Cela va de l’arrache-coeur « Pourquoi n’ai-je aucun ami ? » que murmure le cadet jusqu’à l’intimidation qu’il subit ou son refus féroce des médicaments (un complot du gouvernement pour le soumettre !).
Il y a aussi cet épisode de paranoïa où il sera prostré de terreur pendant des heures. À ses côtés, son aîné s’oblige au calme absolu ; il ne peut même pas regarder sa montre, car ce simple geste pourrait réalimenter la peur qu’il cherche à calmer.
Pour l’écrivain-narrateur, côtoyer ce frère pas comme les autres a toutefois le mérite de l’ouvrir « sur l’incertitude humaine, la fragilité des perceptions » et sur les merveilles que la vie offre pour qui accepte de l’observer. Ce sont là des thèmes récurrents et toujours finement exploités dans l’oeuvre de Beauchemin.
Le roman, par ailleurs très court, met donc en valeur à la fois un indéfectible duo fraternel qui, chacun à sa manière, a besoin l’un de l’autre, et un rapport au monde ramené à l’essentiel : le ciel qui se prépare au soir, une bonne soupe, un chien fidèle, le partage avec des voisins.
Sans oublier les oiseaux, dont le cadet est amateur, au point où l’aîné lui donne un nom d’oiseau – et ce n’est pas une injure ! Au contraire, le roitelet est petit et affublé d’une tache jaune sur le dessus de la tête, à l’image du frère fragile et dont « la lumière de l’esprit [s’échappe] par le haut de la tête ».
Et puis, un roitelet, c’est aussi le roi d’un pays aussi impuissant qu’imaginaire. Ce qui n’empêche pas la poésie qui donne du sens au presque rien.