Le Journal de Montreal - Weekend

RETOUR SUR L’AMOUR ENTRE ANNE ET FRANÇOIS

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

À propos des Lettres à Anne, écrites par François Mitterrand à celle qui était son amour secret pendant des décennies, la mystérieus­e Anne Pingeot, j’avais écrit qu’elles étaient d’une beauté fulgurante. Au moment de la parution de ces lettres, Anne Pingeot, qui se définissai­t comme « l’héroïne d’un film que personne ne verrait jamais », avait accordé cinq entretiens à France Culture et ce sont ces entretiens que l’éditeur nous donne à lire aujourd’hui.

Anne Pingeot, qui a soixante-treize ans à ce moment, a longuement hésité avant d’amorcer le projet de publicatio­n de ces lettres qu’on peut qualifier d’intimes, qui font état aussi bien des sentiments amoureux secrets de l’homme politique que de ses activités profession­nelles et publiques comme secrétaire du Parti socialiste ou président de la République française. Mais en même temps, elle se dit que son amoureux savait qu’elle conservait tout (d’où le titre de l’ouvrage), « par métier et par nature », puisqu’elle est historienn­e de l’art et conservatr­ice de musée.

Anne avait quatorze ans lorsqu’elle a vu Mitterrand pour la première fois et Mitterrand en avait quarante et un. Il était en compagnie de son père qui l’avait ramené à la maison après une partie de golf. L’histoire ne dit pas quand ils se sont revus, mais pour Anne, cette première rencontre fut marquante et elle en garde un souvenir impérissab­le. « Il est merveilleu­x d’aimer quelqu’un qu’on admire, avoue-t-elle, et cela doit être tellement triste d’aimer quelqu’un qu’on n’admire pas. » Les premiers échanges épistolair­es datent de 1962, soit environ cinq ans après cette rencontre fulgurante entre Anne et François.

François Mitterrand prendra ensuite plus ou moins les rênes de son destin. Pygmalion, il l’influencer­a sur ses choix de carrière, prêt à l’aider en tout, même si Anne aspire à la plus grande indépendan­ce. François la sort littéralem­ent de sa province catholique et patriarcal­e. Elle obtient un premier emploi au Musée du Louvre, qui lui ouvrira les portes de la liberté. Elle pourra alors penser avoir un enfant, en dehors du mariage, même si c’est mal vu par la société d’alors. Mazarine naîtra en 1974, au plus fort de leurs relations amoureuses.

Pour François, cet amour dévorant sonne « le réveil de forces endormies ». Il entre littéralem­ent en crise et il en est bouleversé. À Anne, il se confie sans pudeur et il s’en remet entièremen­t à elle, car elle l’aide « à refuser un destin ordinaire. […] Tu m’as délivré de ce qui m’enrayait, me rouillait, me diminuait ». L’abandon est total, tout comme la communion entre les deux amants. Anne ne peut qu’être exaltée par cette déclaratio­n d’amour. « Qu’est-ce que l’amour ? demande-t-elle. Ne plus être seul. […] Une sorte de communion exaltante qui donne confiance. » Elle aura un effet bénéfique sur François, qui jusqu’alors était d’une froideur et d’une rigueur sans faille avec lui-même, avec ses sentiments. La joie de vivre et la passion peuvent enfin l’envahir et les murs tombent.

Anne a bien essayé de se libérer de cet amour, mais elle n’y réussira pas. Comment se libérer d’une personne aussi intéressan­te et fascinante ? Ces entretiens nous en apprennent un peu plus sur les grandes passions amoureuses, sur ces femmes qui vivent l’amour dans l’ombre d’un homme public et plus âgé et aussi sur celui qui a marqué le destin de la France pendant quelques décennies.

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ANNE PINGEOT Il savait que je gardais tout Entretiens avec Jean-Noël Jeanneney Éditions Gallimard
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