Le Journal de Montreal - Weekend

LESDENTSDE LAMER FÊTESES40A­NS

Superprodu­ctions estivales Le 20 juin 1975, Les dents de la mer, de Steven Spielberg, a déboulé sur les écrans des salles obscures d’Amérique du Nord. Le deuxième long-métrage du jeune cinéaste inconnu a remporté un succès inespéré, engrangean­t 470,7 M$

- Isabelle Hontebeyri­e Agence QMI

Steven Spielberg avait 28 ans. Ses faits d’armes? Duel, téléfilm diffusé par ABC en 1971 et La folle course vers Sugarland, sorti dans les salles en 1974 sous la bannière d’Universal.

Les patrons des studios ont vu le potentiel du jeune homme – surtout, qu’ils n’ont trouvé personne d’autre! – et lui ont confié la réalisatio­n d’un petit projet intitulé Les dents de la mer, adaptation du roman éponyme, première oeuvre d’un auteur inconnu qui a obtenu un succès en librairie.

«Je me suis trouvé sur l’océan pendant neuf mois et il est impossible d’être en mer si longtemps sans perdre la tête et sans voir les acteurs perdre la leur. À l’époque, je me suis demandé si, sachant qu’un film était si difficile à faire, je continuera­is dans cette voie. Heureuseme­nt, les autres ont été beaucoup plus simples», a confié Steven Spielberg 30 ans plus tard. Mais sur le coup, le tournage a été effectivem­ent digne d’un film d’horreur.

Les studios ont autorisé un tournage d’environ 55 jours avec un budget de 3,5 millions $. Fervent partisan du réalisme cinématogr­aphique, Spielberg a décidé de poser ses caméras sur l’île de Martha’s Vineyard et en haute mer plutôt que de tourner dans un décor et un bassin. Or, dès le début, tout a été de travers. Les trois requins mécaniques – dont la constructi­on a exigé 40 technicien­s et qui ont été surnommés Bruce, du prénom de l’avocat de Steven Spielberg – ne fonctionna­ient pas comme prévu. Du coup, à cause du retard, le cinéaste, qui a demandé à Carl Gottlieb de réécrire certaines scènes du scénario pendant la préproduct­ion, l’a appelé sur le plateau et l’a embauché pour peaufiner l’ensemble des dialogues. Résultat: les scènes ont été réécrites le soir et le nouveau scénario, livré le matin aux acteurs.

Mais le mauvais temps s’est également mêlé de la partie et tous les ennuis possibles sont survenus. Des bateaux à la dérive ont gâché les plans, qu’il a fallu refaire, le bateau sur lequel se trouvaient les acteurs a failli chavirer, Richard Dreyfuss avait le mal de mer. Et, un jour, il s’en est fallu de peu pour que Carl Gottlieb soit décapité par les hélices de l’embarcatio­n.

Le tournage a été prolongé et les frais, eux, se sont empilés. Or, Steven Spielberg n’a jamais baissé les bras. Comme l’a raconté Carl Gottlieb, «il n’y avait rien d’autre à faire que de continuer». Au final, le tournage a duré 159 jours, et le budget s’est élevé à 9 millions $ (certaines sources parlent même de 12 millions $).

À cause du retard pris sur le plateau, la date de sortie – initialeme­nt prévue pour l’hiver – a été fixée au 20 juin 1975. Les projection­s préliminai­res ont eu du succès. Parallèlem­ent, avec l’avènement des salles climatisée­s dans les années 1960 et 1970, les studios ont flairé la bonne affaire, la chaleur serait sûrement garante de l’affluence. De plus, Bonnie and Clyde (1967), Easy Rider (1969) et American Graffiti (1973) avaient précédemme­nt séduit les jeunes cinéphiles, un public d’importance pour les comptables d’Hollywood.

L’ensemble de ces facteurs réunis a mené les studios Universal à poser trois gestes inédits à l’époque et qui ont contribué à jeter les balises des superprodu­ctions estivales. D’abord, la part du budget attribué à la promotion du film était de 1,8 million $, dont 700 000 $ a été consacré à des publicités télévisées, du jamais vu! En second lieu, le nombre de cinémas qui ont projeté Les dents de la mer a été fixé à 465, un fait inhabituel en ces années où ont préférait garder un film en salle pendant plusieurs mois (il n’y a pas encore de VHS, ni même de DVD). Ensuite, Les dents de la mer a donné lieu à un nombre impression­nant de produits dérivés, qu’il s’agisse de la trame sonore, de jeux, de petits requins, etc.

Au total, le long métrage a été rentable deux semaines après sa sortie. Il a détrôné Le parrain au box-office et a engrangé 470,7 millions à travers le monde.

Comme l’a souvent dit Steven Spielberg, «Ça en a valu la peine. En premier, Rencontres du troisième type était un film que j’avais écrit, mais que personne ne voulait faire. Après le succès des Dents de la mer, tout le monde le voulait. […] Ensuite, ça m’a permis d’avoir le final cut [NDLR: c'est-à-dire l’autorisati­on de déterminer le montage final, une permission rarement accordée par les studios] pour le restant de mes jours. Mais ce que je dois vraiment aux Dents de la mer, c’est de m’avoir donné une bonne dose d’humilité et de m’apprendre à tempérer mon imaginatio­n avec la réalité de la vie.»

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