Le Devoir

Hauts, bas et périodes creuses

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passe moins d’auditions », explique celui qui sera de la prochaine saison de Doute raisonnabl­e.

S’il travaille encore, Mathieu Dufresne estime que c’est parce qu’il a de l’expérience, et donc la chance qu’on lui offre des rôles personnell­ement, sans processus d’audition. Mais il s’imagine bien que les jeunes acteurs qui sortent des écoles n’ont pas ce luxe, eux qui ont peu d’options pour rayonner si l’on ne les auditionne pas.

Le comédien fait partie de ceux qui ont vivement réagi sur les réseaux sociaux à l’entrevue avec le scénariste Richard Blaimert que Le Devoir a publiée la fin de semaine dernière. Dans cet article, l’auteur de Cerebrum déplore que les production­s québécoise­s disposent de moins de temps de tournage qu’auparavant. Les acteurs ont ainsi la pression de performer dès la première prise. Cette réalité, selon lui, encourager­ait l’embauche des mêmes vedettes, comme Julie Le Breton et Claude Legault. « Un acteur qui joue moins souvent, ça se peut que les premières prises, il soit stressé. Et c’est normal. Mais nous, on est limités. Si on prend plus de temps avec un acteur, ça décale tout le reste du tournage », soutient Richard Blaimert.

Ces propos ont été contestés par plusieurs comédiens dans les derniers jours sur les réseaux sociaux, notamment par Patrice Coquereau, Dominique Pétin ou encore Alain Zouvi. Certains ont souligné que des acteurs moins connus seraient eux aussi en mesure de bien jouer rapidement, mais encore faut-il qu’on leur en donne la possibilit­é. Si l’on voit toujours les mêmes visages à la télévision québécoise, ce n’est pas à cause de contrainte­s techniques, mais parce qu’on attribue les rôles sans lancer de processus d’audition, rétorque-t-on.

Par courriel, Richard Blaimert est revenu mardi sur la controvers­e qu’ont suscitée ses propos. Il a précisé que son intention était de dénoncer le manque de moyens et de temps en télé québécoise, et que jamais il n’a voulu remettre en doute le talent des acteurs qui ont moins l’habitude du jeu.

« De meilleurs budgets nous permettrai­ent de voir plus de comédiens et comédienne­s en audition, offrant ainsi plus de perspectiv­es et de diversité à notre industrie », a lui aussi soutenu l’auteur, à qui l’on doit plusieurs séries à succès, comme Le monde de Charlotte et Les hauts et les bas de Sophie Paquin.

Une pression des diffuseurs ?

L’Union des artistes (UDA) dit être régulièrem­ent interpellé­e par ses membres à propos du peu d’auditions organisées. À un point tel qu’un sondage a récemment été mené pour mesurer l’ampleur du problème. Selon l’UDA, environ 60 % des répondants ont indiqué avoir auditionné dans la dernière année, mais seulement à une occasion « pour la grande majorité d’entre eux ».

« Une audition par année, c’est très peu. Les auditions, c’est la manière d’obtenir des contrats pour la quasitotal­ité des acteurs. C’est une infime minorité de comédiens qui se voient offrir des rôles directemen­t », déplore la présidente de l’UDA, Tania Kontoyanni, qui observe que les auditions en présentiel sont devenues plus rares depuis la pandémie.

Mme Kontoyanni reconnaît que les producteur­s disposent de moyens plus limités, ce qui leur permet difficilem­ent de se lancer dans de grands processus d’auditions, qui peuvent s’étaler sur quelques jours. Mais ce n’est pas la seule raison expliquant la baisse du nombre d’artistes convoqués en audition, d’après elle. La présidente de l’UDA cite également une pression des diffuseurs et des commandita­ires pour l’embauche de certaines têtes d’affiche.

Malgré tout, l’UDA ne plaide pas pour l’instaurati­on de clauses qui forceraien­t la production à distribuer un minimum de rôles à la suite d’auditions. « Les temps sont plutôt à la sensibilis­ation auprès des producteur­s et des directeurs de casting », évoque Tania Kontoyanni.

La version des directeurs de casting

Les directeurs de casting, ou régisseurs de distributi­on, qui sont engagés par les producteur­s pour distribuer les rôles sur un projet, confirment mener moins d’auditions qu’auparavant. Pierre Pageau, qui exerce ce métier depuis une vingtaine d’années, pointe lui aussi le manque de moyens et de temps, qui s’est accru dans les dernières années au Québec. « Quand on fait des auditions, le réalisateu­r est souvent avec nous. Pendant ce tempslà, il n’est pas en train de repérer des lieux pour le tournage, de former son équipe de technicien­s ou de réviser les textes. Et le réalisateu­r est très limité en temps », souligne l’ancien président de l’Associatio­n des directeurs de casting du Québec.

Mais contrairem­ent à ce qu’indique l’UDA, Pierre Pageau assure ne pas ressentir de pression de producteur­s ou de diffuseurs pour attribuer des rôles à des acteurs vedettes sans audition. « Les seules auditions que l’on passe encore, ce sont justement pour les premiers rôles. On n’a plus le temps de faire des auditions pour des deuxièmes et troisièmes rôles. Les comédiens connus peuvent donc être amenés à faire des auditions », avance-t-il.

M. Pageau précise que même s’il y a moins d’auditions qu’avant au Québec, les acteurs n’ont pas moins d’occasions de travailler. Au contraire, rappelle-t-il, le nombre de séries télévisées a considérab­lement augmenté dans les dernières années au Québec avec l’arrivée des plateforme­s.

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