Cap forcé sur les VUS électriques
Des Québécois ont de la difficulté à trouver des voitures électriques ou hybrides de taille modeste
Les véhicules électriques n’échappent pas à la tendance nord-américaine favorable aux VUS. Les Québécois qui souhaitent acquérir des voitures électriques ou hybrides de taille modeste, pour des raisons écologiques ou économiques, se heurtent d’ailleurs souvent à un mur.
Pour répondre à une demande croissante, l’entreprise d’autopartage Communauto doit acquérir chaque année de nouveaux véhicules. Ses dirigeants visent depuis longtemps à offrir divers modèles pour répondre aux besoins de la clientèle et à prioriser les véhicules hybrides, indique Marco Viviani, son vice-président au développement stratégique.
Or, aujourd’hui, l’entreprise « manque cruellement de véhicules de petite taille et de véhicules hybrides », déplore-t-il. « Environ 10 % des nouveaux véhicules sont hybrides, alors que, dans le passé, c’était presque 100 % », précise M. Viviani. « Ils sont plus grands, parce que les véhicules plus compacts n’existent presque plus. Avant, la majorité de ce qu’on achetait était des sous-compactes. Ensuite, 30 % étaient des véhicules moyens et 10 %, des véhicules plus grands. Maintenant, on part déjà avec des berlines de taille moyenne. »
Les véhicules électriques sont marginaux au sein de la flotte, étant plus chers et plus compliqués à gérer en contexte d’autopartage, selon M. Viviani. Communauto a acheté des Chevrolet Bolt, mais comme ce modèle n’est plus fabriqué, la compagnie doit maintenant se rabattre sur de petits VUS.
Toute cette situation est frustrante pour Communauto. « Notre mission est essentiellement de réduire l’impact de l’automobile sur notre société en les utilisant mieux. Mais après, si on nuit à cet objectif parce qu’on a des véhicules qui consomment plus [que nécessaire], on se tire dans le pied », déplore le vice-président.
Plusieurs particuliers ont aussi de la difficulté à trouver chaussure à leur pied. Le Montréalais Loïc Haméon, par exemple, est à la recherche d’une voiture hybride branchable. Or, il n’a trouvé que deux modèles qui peuvent convenir à son budget et qui ne sont pas de gros VUS, soit la Toyota Prius Prime et la Kia Niro. « Je ne veux pas polluer pour rien. Pour moi, l’idée est d’aller du point A au point B.
Je ne veux pas polluer pour rien. Pour moi, l’idée est d’aller du point A au point B. Les consommateurs qui veulent faire ça de façon écologiquement responsable, sans y mettre le prix d’une maison, n’ont pas énormément d’options.
LOÏC HAMÉON
Les consommateurs qui veulent faire ça de façon écologiquement responsable, sans y mettre le prix d’une maison, n’ont pas énormément d’options », dit-il.
Simon, un résident des Laurentides, souhaiterait pour sa part remplacer sa Nissan Leaf 2016 pour une nouvelle voiture électrique offrant plus d’autonomie. Il doit parcourir des dizaines de kilomètres par jour, mais, puisqu’il n’a pas d’enfants, il ne voit pas l’utilité d’avoir un VUS, qu’il juge d’ailleurs trop dispendieux. « Il n’y a pas de petits véhicules, alors je vais devoir attendre la nouvelle génération ou acheter usagé », a-t-il indiqué. Il a préféré ne pas dévoiler son nom complet par crainte de déplaire à son employeur.
La domination des VUS
Les défis vécus par ces acheteurs sont le reflet de la domination des VUS sur le marché. Selon le catalogue présenté par le site Web Roulons électrique, une quinzaine de modèles de VUS de différentes tailles et de multisegments hybrides rechargeables sont disponibles au Québec, alors qu’il n’y a que cinq modèles de voitures — qu’il s’agisse de sous-compactes, de compactes, d’intermédiaires ou de grandes berlines. On trouve un seul modèle de fourgonnette hybride rechargeable. Du côté du tout-électrique, ce même catalogue recense 35 VUS de diverses tailles, 11 multisegments, 10 voitures et aucune fourgonnette.
Le bilan annuel de l’électromobilité 2023 présenté par l’Association des véhicules électriques du Québec comprend aussi des données évocatrices. Il présente un classement des véhicules électriques et hybrides rechargeables les plus présents sur les routes de la province. Parmi les 15 véhicules ayant connu la plus forte progression annuelle, 11 sont des VUS ou des multisegments, alors que 3 sont des voitures.
Coprésident du Groupe Saillant, qui regroupe plusieurs concessionnaires, Charles Saillant estime que la proportion de gros véhicules électriques est environ la même dans l’électrique que parmi les véhicules à essence. Il souligne aussi que les minifourgonnettes ont presque disparu. « Les manufacturiers vendent des véhicules que les clients veulent », assure celui qui croit que les consommateurs apprécient un espace cargo, qui permet de transporter des sacs d’épicerie et de l’équipement sportif sans contraintes. De plus petits véhicules pourraient arriver sur le marché en fonction des conditions économiques, croit-il.
M. Saillant estime par ailleurs que le terme VUS est galvaudé. « Quand ce terme-là est sorti, il y a 15 ans, on parlait de véhicules capables d’asseoir sept personnes. Maintenant, il y en a qui sont officiellement des VUS, mais qui, dans les faits, sont des berlines faites en hauteur », juge-t-il.
Plus énergivores
Président-directeur général de Mobilité électrique Canada, Daniel Breton rappelle toutefois que les VUS et les multisegments — même compacts et électriques — sont plus énergivores que leur version voiture, qui « consommerait moins parce que le véhicule serait plus bas, plus aérodynamique et moins lourd ».
Selon lui, les efforts de marketing autour des VUS font en sorte qu’on « confonde nos désirs et nos besoins ». « Je dis toujours aux gens : “Achetez un véhicule en fonction de vos besoins.” Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, parce que demain matin, quelqu’un qui veut s’acheter une petite voiture électrique — ou même à essence —, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin », lance M. Breton.
Ce dernier discerne des causes politiques et réglementaires à cette montée des VUS, en premier lieu les normes américaines d’émission des véhicules. « Depuis des décennies, le gouvernement américain a décidé d’établir des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre en fonction de l’empattement [la distance entre les roues avant et les roues arrière] et du poids des véhicules. Autrement dit, plus le véhicule est petit, plus il doit réduire ses émissions. Ça a incité les constructeurs automobiles à ajouter du poids à leur véhicule pour avoir moins de contraintes », a-t-il expliqué.
Les solutions existent, estime toutefois M. Breton. En premier lieu, le gouvernement canadien devrait cesser de s’aligner sur ces normes américaines, dit-il. M. Breton est aussi favorable à un système pénalisant les véhicules plus énergivores, ce qui pourrait inclure les véhicules électriques ayant un poids élevé.
Plus le véhicule est petit, plus il doit réduire ses émissions. Ça a incité les constructeurs automobiles à ajouter du poids à leur véhicule pour avoir moins de contraintes.
DANIEL BRETON