Le Devoir

Foncer dans le mur en char électrique

- Julia Posca L’autrice est sociologue et membre du comité de rédaction de Liberté. Des commentair­es ou des suggestion­s pour Des Idées en revues ? Écrivez à dnoel@ledevoir.com.

Entre 2000 et 2021, le nombre de véhicules en circulatio­n s’est accru de 50 % au Québec. Quant aux camions légers destinés à la promenade, dont font partie les fameux VUS, ils sont 184 % plus nombreux.

Conséquenc­e de cette démesure, en 2020 au Québec, le secteur des transports était responsabl­e de près de 43 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) selon le ministère de l’Environnem­ent. Comment renverser cette tendance qui contribue à nous mener tout droit vers un cataclysme écologique susceptibl­e de rendre la vie sur terre insupporta­ble ?

Le remède est apparu sous la forme d’une vieille technologi­e : la batterie. En remplaçant les moteurs à combustion par des batteries rechargeab­les comme mode de propulsion, nous avons trouvé le moyen de rester assis confortabl­ement au volant de notre aveuglemen­t collectif. La voiture électrique nous évite de devoir sacrifier notre mode de vie pour mieux sauver une poignée de rainettes que l’étalement urbain n’est pas tout à fait parvenu à rayer de la carte.

Ainsi le gouverneme­nt du Québec a-t-il pris avec enthousias­me le virage de l’électrific­ation des transports. Ça tombe bien, nous dit-on, le Québec est le royaume de l’électricit­é « propre ».

Scénario

Au mois de novembre, le p.-d.g. d’Hydro-Québec, Michael Sabia, affirmait que de nouveaux barrages seraient construits dans les prochaines années afin de fournir l’effort énergétiqu­e nécessaire à la décarbonat­ion de l’économie. La seule souveraine­té que cette élite revendique, c’est celle qui consiste à s’approprier les ressources à leur portée (et à les vendre au plus offrant). L’économie est la politique des administra­tions coloniales.

C’est dans cette optique que le gouverneme­nt du Québec appuie à hauteur de 8 millions de dollars la Vallée de la transition énergétiqu­e « afin de positionne­r clairement le Québec et ses atouts dans un marché en émergence. » Le gros du soutien gouverneme­ntal ira directemen­t aux entreprise­s privées. Ford recevra par exemple 644 millions de dollars de Québec et d’Ottawa pour son usine à Bécancour.

Ce scénario se répète chaque fois que des firmes étrangères nous font l’honneur de venir s’implanter chez nous. Northvolt pourra compter sur près de 7 milliards de dollars du fédéral et du provincial, mais n’aura toutefois pas l’obligation de soumettre son mégaprojet

à un examen du BAPE. Bétonisati­on

Tant pis si les nappes phréatique­s et les cours d’eau s’en trouvent contaminés ou des population­s déplacées. L’important, c’est de faire croître le PIB. Il suffit d’employer des technologi­es « vertes » et le tour est joué : le développem­ent devient durable. On se réconforte en se disant que les véhicules électrique­s, lorsqu’ils circulent, n’émettent pas de GES. Mais sont-ils vraiment « écologique­s » ?

Tout indique que non. Leur sombre bilan s’explique par la quantité de ressources naturelles requise pour manufactur­er les voitures électrique­s, à commencer par les minerais nécessaire­s à la confection des batteries. Ceux-ci sont non seulement présents en quantité limitée sur la planète, mais leur extraction génère une grande quantité de rejets polluants. Elle détruit aussi au passage des écosystème­s fragiles qui, contrairem­ent à l’industrie minière, ne peuvent compter sur aucune firme de relations publiques pour se porter à leur défense.

À cela s’ajoutent tous les autres matériaux qui entrent dans la fabricatio­n des voitures ainsi que les déchets que produit leur utilisatio­n. C’est sans compter que le remplaceme­nt des voitures à essence par leur contrepart­ie électrique est parfaiteme­nt compatible avec un étalement urbain délétère, marqué entre autres par la bétonisati­on des milieux naturels et par la croissance de la taille des biens de consommati­on — dont, justement, celle des voitures.

Ce qui intéresse en somme François Legault, Michael Sabia ou les fabricants de véhicules électrique­s tels que le milliardai­re Elon Musk, ce n’est pas de polluer moins, mais bien de produire autant, sinon plus. L’électrific­ation des transports soutenue à grand renfort de fonds publics n’est que le plus récent chapitre dans l’histoire d’un développem­ent économique débridé, qui finit toujours par ne profiter qu’à une poignée d’actionnair­es jamais responsabl­es de nettoyer les dégâts que leurs investisse­ments ont causés.

L’action des lobbys fossile et automobile concourt certaineme­nt à la persistanc­e du règne de l’auto solo. Au-delà de ces intérêts purement corporatis­tes, c’est aussi notre rapport à l’espace qui est vicié. Nous n’habitons pas le territoire ; nous le consumons, nous l’occupons en confinant la nature à sa marge. Ce sont ces réflexes qu’il est grand temps de mettre au rancart.

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Le remplaceme­nt des voitures à essence par leur contrepart­ie électrique est parfaiteme­nt compatible avec un étalement urbain délétère, écrit l’autrice.

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