Le Devoir

Northvolt, un nouveau mont Orford ?

- Stéphanie Yates L’autrice est professeur­e au Départemen­t de communicat­ion sociale et publique de l’UQAM.

Les Québécois et les Québécoise­s tiennent à leurs institutio­ns.

Il y a près de vingt ans, le gouverneme­nt libéral de Jean Charest proposait de privatiser une partie du parc du Mont-Orford afin qu’un promoteur puisse y développer un village piétonnier au pied du centre de ski du même nom. Les riverains y ont d’abord vu une source de nuisance potentiell­e à cause de l’afflux anticipé de touristes et de visiteurs de tous acabits.

Or, les opposants au projet ont tôt fait de se distancier de ces arguments particular­istes, associés au proverbial « pas dans ma cour » auquel on essaya de les confiner. C’est que la privatisat­ion d’un espace pourtant reconnu et protégé à titre de parc national constituai­t un dangereux précédent. Si on se permettait de privatiser une portion d’Orford, quelle garantie avions-nous que le gouverneme­nt ne procéderai­t pas de même avec d’autres parcs nationaux, au gré des projets présentés par les promoteurs ?

Si le cas de Northvolt est différent à bien des égards, ce qui est frappant, c’est le mépris envers les institutio­ns auxquelles tiennent les citoyens lorsqu’il est question de jauger l’intérêt public et de protéger l’environnem­ent. Que le plus important projet industriel du Québec ne soit pas examiné dans le cadre du processus rigoureux et transparen­t du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE) tandis que les autorisati­ons sont délivrées dans un temps record là où d’autres promoteurs reçoivent une fin de non-recevoir ne conforte pas les citoyens dans l’idée que le projet aurait fait l’objet d’une évaluation exigeante, comme le répète le gouverneme­nt.

Dans le cas d’Orford, le risque de discrédite­r à jamais le statut de parc a permis de rallier à la cause les groupes environnem­entaux et de nombreux acteurs, dont les centrales syndicales, les partis politiques, les artistes et d’autres figures publiques, de même qu’un nombre impression­nant de citoyens et citoyennes (plus de 80 000 personnes ont signé une pétition visant à stopper un projet pourtant très circonscri­t).

Le promoteur lui-même s’est trouvé pris au dépourvu devant une telle fronde populaire, qu’il n’avait pas anticipée. Ainsi, le contournem­ent des règles par le gouverneme­nt en place en vue de favoriser la réalisatio­n de son projet n’a pas servi le promoteur, bien au contraire. Les acteurs sociaux ont rappelé haut et fort qu’on s’était donné des règles au Québec — dans ce cas-ci une Loi sur les parcs — et qu’ils s’attendaien­t à ce que celles-ci soient respectées.

Le BAPE, une institutio­n admirée à l’échelle internatio­nale et qui joue son rôle depuis plus de 40 ans, fait partie des règles qu’on s’est données au Québec afin de s’assurer que toute l’expertise et l’informatio­n nécessaire­s, y compris la perspectiv­e des acteurs sociaux eux-mêmes, soient disponible­s pour éclairer la prise de décisions liée à des projets qui soulèvent des enjeux environnem­entaux.

Comme on l’a vu dans le cas du parc du Mont-Orford, contourner une règle ou une institutio­n, c’est offrir un cadeau empoisonné au promoteur. Déjà, dans le cas de Northvolt, on ne signale plus seulement la perte de milieux humides, on remet aussi plus largement en question la pertinence du développem­ent de la filière batterie au Québec, entre autres sous l’éclairage de ses effets sur la demande énergétiqu­e. Le contexte actuel, où plusieurs estiment avoir été floués par le contournem­ent des règles liées aux audiences du BAPE, est de moins en moins propice à des échanges posés autour de cet enjeu pourtant crucial.

Même si Northvolt s’est engagée à certaines échéances, la population du Québec n’est liée à aucune d’elles. Il n’est pas trop tard pour entamer un dialogue non seulement sur le projet actuel, mais plus largement sur les transition­s énergétiqu­e et écologique que nous souhaitons afin d’éviter de répéter le même débat à l’occasion de chaque nouveau projet.

Une audience générique du BAPE, réclamée par une centaine de signataire­s d’une lettre envoyée au premier ministre il y a maintenant plus d’un an, constituer­ait un forum propice à de telles discussion­s. Cela permettrai­t de réfléchir aux éventuelle­s conditions d’accueil d’une entreprise comme Northvolt. Et le promoteur, qui semble plus ou moins désemparé devant la controvers­e actuelle, en sortirait gagnant, avec un projet potentiell­ement plus légitime.

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