Northvolt, un nouveau mont Orford ?
Les Québécois et les Québécoises tiennent à leurs institutions.
Il y a près de vingt ans, le gouvernement libéral de Jean Charest proposait de privatiser une partie du parc du Mont-Orford afin qu’un promoteur puisse y développer un village piétonnier au pied du centre de ski du même nom. Les riverains y ont d’abord vu une source de nuisance potentielle à cause de l’afflux anticipé de touristes et de visiteurs de tous acabits.
Or, les opposants au projet ont tôt fait de se distancier de ces arguments particularistes, associés au proverbial « pas dans ma cour » auquel on essaya de les confiner. C’est que la privatisation d’un espace pourtant reconnu et protégé à titre de parc national constituait un dangereux précédent. Si on se permettait de privatiser une portion d’Orford, quelle garantie avions-nous que le gouvernement ne procéderait pas de même avec d’autres parcs nationaux, au gré des projets présentés par les promoteurs ?
Si le cas de Northvolt est différent à bien des égards, ce qui est frappant, c’est le mépris envers les institutions auxquelles tiennent les citoyens lorsqu’il est question de jauger l’intérêt public et de protéger l’environnement. Que le plus important projet industriel du Québec ne soit pas examiné dans le cadre du processus rigoureux et transparent du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) tandis que les autorisations sont délivrées dans un temps record là où d’autres promoteurs reçoivent une fin de non-recevoir ne conforte pas les citoyens dans l’idée que le projet aurait fait l’objet d’une évaluation exigeante, comme le répète le gouvernement.
Dans le cas d’Orford, le risque de discréditer à jamais le statut de parc a permis de rallier à la cause les groupes environnementaux et de nombreux acteurs, dont les centrales syndicales, les partis politiques, les artistes et d’autres figures publiques, de même qu’un nombre impressionnant de citoyens et citoyennes (plus de 80 000 personnes ont signé une pétition visant à stopper un projet pourtant très circonscrit).
Le promoteur lui-même s’est trouvé pris au dépourvu devant une telle fronde populaire, qu’il n’avait pas anticipée. Ainsi, le contournement des règles par le gouvernement en place en vue de favoriser la réalisation de son projet n’a pas servi le promoteur, bien au contraire. Les acteurs sociaux ont rappelé haut et fort qu’on s’était donné des règles au Québec — dans ce cas-ci une Loi sur les parcs — et qu’ils s’attendaient à ce que celles-ci soient respectées.
Le BAPE, une institution admirée à l’échelle internationale et qui joue son rôle depuis plus de 40 ans, fait partie des règles qu’on s’est données au Québec afin de s’assurer que toute l’expertise et l’information nécessaires, y compris la perspective des acteurs sociaux eux-mêmes, soient disponibles pour éclairer la prise de décisions liée à des projets qui soulèvent des enjeux environnementaux.
Comme on l’a vu dans le cas du parc du Mont-Orford, contourner une règle ou une institution, c’est offrir un cadeau empoisonné au promoteur. Déjà, dans le cas de Northvolt, on ne signale plus seulement la perte de milieux humides, on remet aussi plus largement en question la pertinence du développement de la filière batterie au Québec, entre autres sous l’éclairage de ses effets sur la demande énergétique. Le contexte actuel, où plusieurs estiment avoir été floués par le contournement des règles liées aux audiences du BAPE, est de moins en moins propice à des échanges posés autour de cet enjeu pourtant crucial.
Même si Northvolt s’est engagée à certaines échéances, la population du Québec n’est liée à aucune d’elles. Il n’est pas trop tard pour entamer un dialogue non seulement sur le projet actuel, mais plus largement sur les transitions énergétique et écologique que nous souhaitons afin d’éviter de répéter le même débat à l’occasion de chaque nouveau projet.
Une audience générique du BAPE, réclamée par une centaine de signataires d’une lettre envoyée au premier ministre il y a maintenant plus d’un an, constituerait un forum propice à de telles discussions. Cela permettrait de réfléchir aux éventuelles conditions d’accueil d’une entreprise comme Northvolt. Et le promoteur, qui semble plus ou moins désemparé devant la controverse actuelle, en sortirait gagnant, avec un projet potentiellement plus légitime.