Le Devoir

Bio de surface pour artiste profond

La vie et la mort de la figure emblématiq­ue du reggae sont relatées dans Bob Marley: One Love, un film étonnammen­t peu inspiré

- FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

Bob Marley est sans conteste l’une des figures musicales et culturelle­s parmi les plus marquantes. Il popularisa le reggae ainsi que le mouvement rastafari dans le monde entier. Dans sa Jamaïque natale, il se battit pour la démocratie et la non-violence au péril de sa vie. Jusqu’à son décès prématuré en 1981, il vécut une grande histoire d’amour avec Rita Marley. Objet d’un documentai­re remarquabl­e en 2012, Bob Marley a à présent droit à un drame biographiq­ue : Bob Marley: One Love (V.F.).

À Hollywood, lorsqu’un studio décide de raconter la vie d’une célébrité, le dessein implicite est généraleme­nt de décrocher quelques nomination­s aux Oscar, surtout au rayon de l’interpréta­tion. Après les sélections en festivals, ces films sortent habituelle­ment entre les mois de septembre et décembre afin d’être admissible­s auprès de l’Académie. À l’inverse, les films desquels les studios n’attendent pas grand-chose sont généraleme­nt relégués aux mois peu achalandés de janvier et février, précédant l’embellie de mars et le début de la saison des blockbuste­rs.

Tout cela pour dire que, lorsqu’un film semble en théorie relever de la première catégorie mais subit en pratique le traitement réservé à la seconde, la circonspec­tion est de mise.

Et de fait, Bob Marley: One Love, qui sort sous enseigne Paramount, déçoit. Quatre scénariste­s ont participé à l’écriture, dont le réalisateu­r Reinaldo Marcus Green. Pour mémoire, on doit à ce dernier King Richard (King Richard, au-delà du jeu), consacré au père de Venus et Serena Williams (que son destin eut été jugé plus intéressan­t que celui de ses illustres filles pour un film demeure un mystère). Oui, il est ici question du film qui permit à Will Smith de recevoir un Oscar juste après son infâme gifle en direct.

Ce nouveau film possède certaines des qualités de son prédécesse­ur, mais a beaucoup plus de défauts, à commencer par une focalisati­on restreinte et une constructi­on fragmentai­re.

En effet, le film se concentre uniquement sur la période de 1976 à 1978, couvrant la tentative d’assassinat contre Bob Marley juste avant le concert Smile Jamaica, l’exil en Angleterre et l’enregistre­ment de l’album phare Exodus, puis les ultimes concerts suivant un diagnostic de cancer.

La première partie est la moins réussie, et consiste en un condensé historique achoppé aux ellipses brusques. Çà et là, des retours en arrière explicatif­s sont intégrés avec la subtilité d’un crayon marqueur. Les dialogues à tendance déclamatoi­re sont à l’avenant.

Une vision autorisée

Produit sous l’imprimatur de trois des onze enfants du défunt chanteur, Bob Marley: One Love maintient en outre un ton résolument hagiograph­ique. C’est très, très lisse. Or, justement, quelques aspérités, quelques failles en auraient révélé davantage sur l’homme. En l’état, le film brosse le portrait un brin soporifiqu­e d’un saint.

Dans le rôle-titre, l’acteur anglais Kingsley Ben-Adir, vu en Malcolm X dans l’excellent One Night in Miami…, de Regina King, donne dans la forme plus que dans le fond, à l’instar du film. C’est-à-dire que l’acteur maîtrise l’accent de Marley ainsi que sa gestuelle, mais le résultat tient davantage de l’imitation que de l’incarnatio­n. Lors de passages dramatique­s, on cherche en vain la profondeur émotionnel­le chez Ben-Adir.

Plus intrigante s’avère Lashana Lynch, vue dans Captain Marvel (Capitaine Marvel) et No Time to Die (Mourir peut attendre), dans le rôle de Rita Marley. Expressive et charismati­que, Lynch confère au film ses rares moments de vérité (la dispute où elle « recadre » son époux, et la discussion suivant le funeste diagnostic). Un exploit, considéran­t que le scénario lui donne somme toute très peu à faire.

Heureuseme­nt, il y a énormément de musique, passée à l’Histoire à raison. Un sort que ne risque hélas pas de connaître le film Bob Marley: One Love.

Bob Marley: One Love (V.O. et V.F.)

Drame biographiq­ue de Reinaldo Marcus Green. Avec Kingsley Ben-Adir, Lashana Lynch, Daniel Melville Jr., James Norton. États-Unis, 104 minutes. En salle.

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CHIABELLA JAMES Lashana Lynch et Kingsley BenAdir dans le film Bob Marley: One Love

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