Le Devoir

Des fondations qui veulent changer le monde

- ISABELLE DELORME COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Lorsque des familles ou des personnes fortunées créent leur propre fondation, elles n’en retirent pas de bénéfice fiscal, en comparaiso­n avec un don pur qui mobilisera­it les mêmes ressources financière­s. Ce qu’elles recherchen­t alors, c’est d’avoir une influence. Et pour que celle-ci soit plus grande encore, elles se tournent de plus en plus vers des approches sociales et responsabl­es jusque dans leurs investisse­ments.

« On ne crée pas une fondation pour économiser de l’argent, mais pour donner parce qu’on en a beaucoup. Les fondateurs sentent une responsabi­lité importante et veulent contribuer à la société », souligne l’expert en philanthro­pie Daniel Asselin.

François Bernier, directeur de la planificat­ion fiscale et successora­le pour l’est du Canada chez Placements mondiaux Sun Life, le confirme : créer une fondation n’est pas plus avantageux du point de vue fiscal qu’une donation pure et simple à un organisme de charité enregistré. « On a droit aux mêmes reçus et crédits d’impôt que pour un don direct à une oeuvre de bienfaisan­ce, en fonction du montant de la donation et du niveau de revenus », décrit-il.

Un désir de pérennité

En donnant naissance à leur fondation, les grands donateurs cherchent plutôt à créer une sorte de marque en relation avec leur nom ou leur famille et les causes qu’ils souhaitent soutenir sur le long terme. « Certains ont donné leur vie à des causes et aimeraient qu’elles continuent à être avantagées après leur décès grâce à leur patrimoine. Il y a généraleme­nt un désir de pérennité ; on ne veut pas créer une fondation qui va s’étioler au bout de dix ans par manque de fonds », observe François Bernier.

Cette structure constitue aussi, pour les fondateurs, un outil de gestion des donations dans le temps. « Ils peuvent y mettre des fonds aujourd’hui et obtenir leur reçu fiscal, puis attribuer graduellem­ent des sommes à différente­s oeuvres qu’ils souhaitent soutenir au lieu de remettre d’un seul coup tous leurs dons à un organisme de charité dont la mission peut changer demain ou dont l’administra­tion peut être modifiée », explique l’expert en fiscalité.

Des investisse­ments d’impact

Depuis le 1er janvier dernier, les grandes fondations privées au capital de 1 million de dollars et plus ont l’obligation de distribuer chaque année 5 % de leurs actifs à d’autres oeuvres de bienfaisan­ce. Les distributi­ons obligatoir­es des fondations plus petites sont restées à 3,5 %. Le sort des 95 % (ou 96,5 %) d’actifs restants est en train d’évoluer.

Traditionn­ellement, les fondations estimaient qu’un rendement maximal de leurs investisse­ments sur les marchés financiers permettait d’assurer une pérennité à l’organisati­on et d’augmenter le montant des dons. « Une nouvelle posture considère que la mission première d’une fondation n’est pas de générer des profits sur ses investisse­ments — tant mieux si elles le font —, mais bien d’agir de façon pertinente à tous les niveaux de leurs actions philanthro­piques pour atteindre le bien commun », observait Jacques Bordeleau, ancien directeur général de la fondation Béati, dans un entretien accordé au PhiLab l’automne dernier.

La Fondation McConnell, qui a été pionnière de cette approche en 2007, consacre aujourd’hui 20 % de son portefeuil­le à des investisse­ments d’impact en phase avec sa mission, une proportion qu’elle a annoncé vouloir augmenter à 100 %. Ce mouvement d’investisse­ment responsabl­e, suivi notamment par les fondations Trottier, Lucie et André Chagnon ou encore Beati, « est une vague qui va continuer à durer », selon François Bernier.

Un défi pour les années à venir

« Nous devons être encore plus exigeants sur la manière dont un dollar, qui a été défiscalis­é en philanthro­pie, est placé sur les marchés », souligne pour sa part le président-directeur général de la Fondation du Grand Montréal, Karel Mayrand. Il prône également des investisse­ments en fonction des mêmes valeurs que celles qui orientent les distributi­ons de subvention­s. « Si les dizaines de milliards de dollars philanthro­piques sur le marché étaient investies de cette manière, on viendrait complèteme­nt changer la dynamique pour faire le bien avec 100 % du capital par an et non 5 % », encourage-t-il.

Pour M. Mayrand, les effets de la philanthro­pie sur les enjeux fondamenta­ux de notre société sont un défi dans un secteur qui s’agrandit. « La philanthro­pie est devenue un marché dans lequel de plus en plus de joueurs se sont lancés au sein des institutio­ns financière­s et des bureaux familiaux ou gestionnai­res, mais cela pose une question : cette philanthro­pie a-t-elle vraiment un impact sur nos besoins fondamenta­ux ? » interroge le p.-d.g. Pour lui, le défi des prochaines années est d’arriver à structurer et à diriger toutes les vagues d’argent pour aller chercher une portée concrète au-delà de l’optimisati­on fiscale.

« Dans les 800 fonds que nous avons à la Fondation du Grand Montréal, je suis capable de dire où va l’argent et comment il est distribué, mais au niveau plus global du marché de la philanthro­pie, il est difficile de savoir où vont les dons qui ont eu des reçus de charité et quel a été leur impact », regrette-t-il.

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ILLUSTRATI­ON FRANÇOIS ESCALMEL

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