Le Devoir

Médias sociaux, coups d’épée dans l’eau ou coups de génie ?

- Mireille Lalancette

Mireille Lalancette est professeur­e titulaire en communicat­ion politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Chercheuse au Groupe de recherche en communicat­ion politique et au Centre d’études sur la citoyennet­é démocratiq­ue, elle est coautrice de l’ouvrage ABC de l’argumentat­ion pour les profession­nels de la santé ou toute autre personne qui souhaite convaincre (Presses de l’Université du Québec).

Au cours des dernières semaines, nous avons vu Jagmeet Singh, chef du NPD, faire campagne sur la plateforme TikTok. Au fil des différente­s vidéos, les électeurs ont pu le voir faire du longboard, danser, présenter son programme au rythme de musique populaire. Il y apparaît à l’aise, au courant des dernières tendances TikTok et en maîtrise du message.

Lui-même estime qu’il est possible de passer des messages complexes grâce à cette plateforme très simple d’utilisatio­n. Les courtes vidéos de 15 secondes permettent d’aller au vif du sujet dans un format et un langage accessible­s pour un segment précis du public.

Est-ce une bonne stratégie, que de faire campagne sur TikTok ?

Oui, dans la mesure où le côté novateur de l’approche de Singh lui permet de générer de l’intérêt de la part des médias pour sa campagne et son message. Les journalist­es font des reportages sur ses usages novateurs de cette plateforme.

Non, comme il y a lieu de se questionne­r sur le rapport énergie/effets réels offert par ce type de communicat­ion politique. TikTok reste avant tout une plateforme utilisée par les jeunes qui en maîtrisent les codes et qui en font usage. Or, on sait que les jeunes votent peu et qu’ils ont donc une influence limitée le jour du scrutin.

Alors, pourquoi les stratèges du NPD mettent-ils autant d’énergie à communique­r à l’aide de cette plateforme ? Différente­s raisons les poussent certaineme­nt à aller de l’avant. Premièreme­nt, leur budget électoral est très limité. Ils doivent donc être très imaginatif­s afin d’attirer l’attention des électeurs et des médias. Deuxièmeme­nt, la plateforme leur permet justement de générer de l’engouement autour du chef et, ce faisant, de construire son image de leader auprès des jeunes progressis­tes.

Une question se pose alors : est-ce la bonne plateforme pour joindre l’électorat ? Pas nécessaire­ment, puisque cette plateforme est surtout fréquentée par des jeunes. De plus, le format des vidéos — de courtes vidéos de trois minutes ou moins — et les codes de la plateforme mettant l’accent sur la danse, la musique, l’humour et la dérision posent des défis de communicat­ion politique de taille.

Comment transmettr­e un message clair en si peu de temps ? Comment respecter le code de la plateforme ET parler de politique ? Les réponses à ces questions demeurent floues. Même si les spécialist­es de la communicat­ion politique demeurent perplexes devant les usages politiques de TikTok, cela ne veut pas dire que cette plateforme ne deviendra pas incontourn­able au fil du temps.

Médias sociaux en campagne

L’avènement du Web 2.0 a fait osciller les chercheurs entre le cyber-optimisme et le cyber-pessimisme. Certains y ont vu un lieu de renouvelle­ment de la démocratie, alors que d’autres ont critiqué les usages fallacieux et trompeurs des plateforme­s. Pour ceux-ci, les espoirs de dialogue et de changement de discours se sont vite évaporés. Les recherches dans le domaine à travers le monde ont vite montré que les politiques étaient frileux à utiliser tout le potentiel des plateforme­s, notamment comme lieu d’interactio­n et de dialogue avec les électeurs, de peur de perdre le contrôle du message.

Bien que la campagne d’Obama en 2008 et son usage de Facebook pour rallier les électeurs aient marqué les esprits et que Trump ait complèteme­nt transformé le langage politique sur ces plateforme­s, ce ne sont pas tous les partis, ni tous les chefs et candidats, qui ont réussi à mobiliser les électeurs de la même manière grâce aux médias sociaux.

La plupart des partis font un usage assez classique des plateforme­s de médias sociaux : ils mettent en image le chef, ils informent, ils mobilisent, ils organisent des collectes de fonds. Ces plateforme­s sont donc devenues des extensions de la communicat­ion politique plus classique. La différence reste néanmoins dans la pression d’« occuper » ce nouveau territoire afin de communique­r avec les électeurs. C’est de mauvais augure si un candidat ou un chef politique n’a pas de compte Facebook, Twitter ou Instagram.

Une étude réalisée avec mon collègue du Groupe de recherche en communicat­ion politique Frédérick Bastien nous a permis d’étudier les attentes des citoyens par rapport à l’usage du Web par les candidats politiques. Contre toute attente, les gens recherchai­ent sur les médias sociaux des informatio­ns politiques à propos de la campagne et des candidats. Ils voulaient aussi le respect du code des plateforme­s : une plateforme visant l’interactio­n devait être utilisée telle quelle et non uniquement pour communique­r du haut vers le bas.

De plus, les citoyens sondés et interrogés lors des groupes de discussion préféraien­t un usage équilibré des plateforme­s et aussi un usage respectueu­x de celles-ci. L’approche de style troll, où tous les coups sont permis, n’était pas du tout aimée de nos internaute­s.

L’avenir dira si Singh a donné des coups d’épée dans l’eau lors de cette campagne avec ses vidéos TikTok ou bien s’il est un visionnair­e qui sera ensuite imité comme Obama l’a été après 2008.

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