UN HYMNE AU POUVOIR FÉDÉRAL DE DÉPENSER, L’ÉDITORIAL DE ROBERT DUTRISAC
Si le dernier budget Freeland, déposé il y a moins de cinq mois au printemps, ne lésinait pas avec un apport de 100 milliards en trois ans pour relancer l’économie en sus du même montant inscrit dans son énoncé budgétaire de novembre, la plateforme électorale du Parti libéral du Canada fait de la surenchère en y ajoutant 78 milliards en cinq ans. Le slogan des libéraux dans ce Canada bilingual/bilingue devrait être : « Money is no object / Au diable la dépense ».
Nous ne sommes pas de l’école conservatrice qui insiste pour que le gouvernement fédéral renoue à tout prix avec l’équilibre budgétaire comme s’il s’agissait d’un budget familial. Mais, même si nous acceptons le principe, défendu par les économistes progressistes, voulant que ce soit le ratio dette/produit intérieur brut qui compte, force est de constater que les libéraux de Justin Trudeau poussent le bouchon un peu loin.
Dans la plateforme, on souligne que le ratio dette/PIB est inférieur de 5 points de pourcentage par rapport aux prévisions contenues dans le budget Freeland d’avril. Les libéraux en profitent pour accaparer la moitié de ce « déficit moindre que prévu » pour engager de nouvelles dépenses. C’est presque pavlovien comme réflexe.
Certes, lorsque la pandémie a frappé, le Canada était le champion des pays du G7 pour la faiblesse de son endettement, avec un ratio de 30 %. Cette proportion a bondi à un peu plus de 50 %, en fait à 48,5 %, en raison d’une reprise un peu plus forte que ce qui était escompté. Or les libéraux entendent se satisfaire d’une très modeste réduction de ce ratio d’ici cinq ans, de deux points de pourcentage seulement.
Sous la gouverne libérale, le déficit fédéral s’élèverait à 32 milliards en 2025-2026. C’est deux fois plus que le déficit courant d’avant la pandémie. C’est aussi 7,5 milliards de plus que les projections du mois d’août du Directeur parlementaire du budget.
Ce n’est guère étonnant puisqu’aux 78 milliards de nouvelles dépenses correspondent de nouveaux revenus supplémentaires de 25 milliards seulement, pendant la même période. Ces nouveaux revenus proviennent essentiellement d’une surtaxe de 3 % sur le revenu des grandes banques et des compagnies d’assurances d’envergure, d’un dividende « pandémie » pour la reprise plus rapide que ces grandes sociétés verseront et de la lutte contre l’évasion fiscale. Quant au thème « Faisons payer les super-riches », il est peu fertile en comparaison — 1,7 milliard en cinq ans —, soit moins de 7 % des revenus additionnels.
À la mi-campagne, le Parti libéral est la dernière formation politique à dévoiler sa plateforme électorale, si on fait exception du Parti vert. On ne sait si les luttes intestines qui animent cette formation déboucheront sur un programme cohérent axé sur des enjeux environnementaux plutôt que sur une dénonciation de la répugnante laïcité et de la détestable affirmation nationale du Québec, dont la cheffe Annamie Paul doute tant de la légitimité que de la constitutionnalité.
Saluons le mérite du PLC, le seul parti qui a accompagné sa plateforme d’un plan financier détaillé sur cinq ans, ce qui montre que les libéraux ne sont pas peu fiers d’étaler leur prodigalité.
Il n’y a pas de grandes révélations dans la plateforme libérale. Justin Trudeau a émaillé son début de la campagne des principaux engagements de son parti, et aussi les plus onéreux, dont la plupart partagent cette particularité de viser des champs de compétence provinciaux. Certains ont déjà fait l’objet d’annonces dans le dernier discours du Trône et dans le budget d’avril. C’est le cas de sommes destinées à aider les villes à construire des logements et des investissements fédéraux dans les logements abordables. C’est aussi le cas de la promesse phare des libéraux, dont le financement est déjà prévu dans le dernier budget Freeland : l’instauration d’un « système pancanadien » de garderies à 10 $ par jour. Dans les deux cas, le gouvernement Legault est parvenu à négocier des ententes qui minimisent les empiètements. Dans le cas des services de garde, c’est une somme de 6 milliards en cinq ans qui revient au Québec, sans condition.
Il en va autrement de la santé. Les libéraux procèdent à une offensive musclée avec une injection de 5 milliards en santé mentale, assortie de conditions, de 9 milliards pour des normes pancanadiennes en matière de soins de longue durée pour les personnes âgées et de 3 milliards pour embaucher des médecins de famille et des infirmières. En outre, la plateforme énumère une ribambelle de mesures plus modestes qui lui donnent l’allure d’un programme de gouvernement provincial.
Cette plateforme apparaît comme un hymne au pouvoir fédéral de dépenser qui se pose, au Canada anglais du moins, comme la nouvelle valeur unificatrice du pays. Reste à savoir si les Québécois se reconnaîtront dans ce fédéralisme qui frappe d’obsolescence le respect des compétences.