LES BONS BOUTONS, LA CHRONIQUE DE MICHEL DAVID
Le Canada anglais a beau refuser de reconnaître que le Québec forme une société distincte, force lui est de constater que la dynamique des campagnes fédérales y est bien différente.
En 1993, qui aurait cru que le Bloc québécois, qui ne présentait aucun candidat à l’extérieur du Québec, formerait la loyale opposition de Sa Gracieuse Majesté à la Chambre des communes ? Ou que le NPD y ferait élire plus de la moitié de ses députés en 2011 ?
Cette année encore, alors que les libéraux sont en perte de vitesse dans l’ensemble du pays, les sondages laissent croire qu’ils pourraient augmenter leur députation dans la Belle Province, même si le premier ministre Legault a clairement indiqué qu’il ne souhaite pas leur réélection.
Pourtant, ici comme ailleurs, la popularité personnelle de Justin Trudeau est nettement en baisse. Selon le dernier sondage Léger, 41 % des Québécois ont une moins bonne opinion de lui que la semaine dernière et seulement 7 % en ont une meilleure, soit exactement les mêmes chiffres que dans l’ensemble du Canada.
Qui plus est, le chef conservateur, Erin O’Toole, a marqué plus de points (24 %) au Québec qu’il n’en a perdu (18 %), alors que ses gains (23 %) ont été annulés par ses pertes (24 %) dans l’ensemble du pays.
Les sondeurs de Léger n’ont pas évalué la cote d’YvesFrançois Blanchet, mais on peut penser qu’elle a baissé depuis sa malheureuse déclaration sur le « troisième lien » et son attitude paternaliste envers sa candidate dans Sherbrooke, Ensaf Haidar, qui a fait très mauvaise impression.
Ceci expliquant cela, la bonne performance de M. O’Toole, conjuguée avec les dérapages de M. Blanchet, pourrait permettre aux libéraux de réaliser des gains malgré la désillusion envers M. Trudeau, en profitant de la division du vote d’opposition pour se faufiler ici et là entre leurs adversaires.
Au-delà des aléas de la mathématique électorale, le comportement de l’électeur québécois n’est pas sans paradoxes. Si le souvenir du drame de Polytechnique explique sans aucun doute que les Québécois sont de loin les plus favorables à l’interdiction de la possession d’armes à feu, leur ouverture à la médecine privée peut en étonner plusieurs.
Selon Léger, 78 % d’entre eux sont favorables à l’exploitation de cliniques privées, à la condition d’avoir aussi accès à un système public et universel, alors que l’attachement du Québec à l’État-providence est sans équivalent ailleurs pays.
Ce taux d’approbation est plus élevé que dans l’ensemble du Canada (71 %), y compris la très conservatrice Alberta (76 %). Inversement, les Québécois sont nettement moins favorables (13 %) à la fermeture des cliniques privées que la moyenne canadienne (20 %). Si les libéraux pensaient marquer des points en accusant Erin O’Toole d’être partisan d’une « médecine à deux vitesses », ils ont misé sur le mauvais cheval.
De toute évidence, ni les Québécois ni les Canadiens ne sont particulièrement impressionnés par le système public de santé. François Legault et le Bloc québécois ont beau dénoncer à l’unisson les intrusions du gouvernement Trudeau dans un champ de compétence provinciale, il est loin d’être assuré que les électeurs y voient un si gros péché.
Les chefs des quatre principaux partis s’affronteront jeudi soir dans un premier débat télévisé sur les ondes de TVA, devant un auditoire presque exclusivement québécois et francophone. Ils ont tout intérêt à appuyer sur les bons boutons.
Si M. Trudeau croyait être en mesure de tirer profit de sa gestion de la pandémie, le sondage Léger a dû avoir l’effet d’une douche froide. Si la situation devait s’aggraver, ce qui semble être le cas, 60 % des Québécois — et 62 % des Canadiens — préféreraient une autre approche que la sienne. Le chef libéral devrait plutôt intérêt à attaquer MM. O’Toole et Blanchet sur le terrain environnement, où ils sont le plus vulnérables.
Le chef du Bloc a beau réclamer mer et monde pour le Québec, tout le monde sait qu’il doit se contenter de jouer la mouche du coche. C’est M. O’Toole qui a le plus avantage à parler de toutes ces belles choses dont rêve M. Legault, que M. Trudeau lui refuse et que le Bloc ne peut pas lui donner. Il ne s’en privera certainement pas.
Depuis le début de la campagne, M. Blanchet semble être devenu lui-même son pire ennemi. Il est impératif qu’il retrouve un ton plus agréable. On ne change pas une recette gagnante, dit-on, et le chef du Bloc a déjà commencé à se rabattre sur ce qui avait fait son succès en 2019, c’est-à-dire l’identité.
Sans nécessairement être leurs priorités, il est vrai que la laïcité et la langue demeurent des cordes sensibles pour un grand nombre de Québécois. À voir M. Legault manoeuvrer, on peut toutefois se demander s’il a vraiment besoin du secours de M. Blanchet pour mener sa barque.
Cette année encore, alors que les libéraux sont en perte de vitesse dans l’ensemble du pays, les sondages laissent croire qu’ils pourraient augmenter leur députation dans la Belle Province, même si le premier ministre Legault a clairement indiqué qu’il ne souhaite pas leur réélection