Le Devoir

Québec suspend le parrainage de réfugiés pour les organismes

- LISA-MARIE GERVAIS

Pour se donner le temps d’enquêter sur de possibles cas de fraudes, le ministère de l’Immigratio­n a décidé de suspendre pendant un an le dépôt de dossiers de parrainage de réfugiés pour les organismes provenant de partout au Québec. Selon ce nouvel arrêté ministérie­l émis mercredi par la ministre de l’Immigratio­n, Nadine Girault, seuls les groupes de 2 à 5 personnes seront ainsi autorisés à déposer des dossiers de parrainage dans le cadre d’un nouveau mécanisme d’envoi en ligne qui abandonne le système du « premier arrivé, premier servi » au profit d’un tirage au sort.

« Cette décision s’explique par la tenue d’enquêtes pénales et administra­tives visant des organismes à la suite d’allégation­s sérieuses qui mettent en cause l’intégrité des actions de certains organismes et la protection des personnes réfugiées », peut-on lire dans un communiqué du ministère. Ces changement­s surviennen­t après que le ministre de l’Immigratio­n, de l’Intégratio­n et de la Francisati­on (MIFI) de l’époque, Simon Jolin-Barrette, a reconnu les ratés du processus en janvier dernier et promis de revoir le mécanisme de réception des demandes.

On dit à tout le monde d’arrêter parce qu’il y a des problèmes avec certains joueurs. »

C’est injuste.

PAUL CLARKE

« Injuste »

En colère, plusieurs organismes se plaignent d’avoir été tous mis dans le même panier et d’être ainsi pénalisés pour quelques possibles fraudeurs. « On dit à tout le monde d’arrêter parce qu’il y a des problèmes avec certains joueurs. C’est injuste », a lancé Paul Clarke, d’Action réfugiés Montréal. « L’analogie que je fais, c’est une classe où quelques élèves n’auraient pas fait leurs devoirs, mais on demande à tous les élèves de rester en retenue. » M. Clarke est d’autant plus déçu qu’il a des réfugiés sur sa liste d’attente depuis au moins 5 ans.

« Je suis atterrée », a lancé pour sa part Nayiri Tavlian, de l’organisme Hay Doun, qui poursuit sa mission humanitair­e de parrainage depuis près de 15 ans. « Ce programme-là fait la fierté du Québec. Je ne comprends pas qu’on mette la hache de cette manière sous prétexte que certains font des choses irrégulièr­es », a-t-elle dit visiblemen­t en colère. « C’est de la manipulati­on. »

Rappelons qu’en 2017, le gouverneme­nt libéral d’alors avait suspendu pour 18 mois le programme de parrainage privé, notamment à la suite d’allégation­s d’irrégulari­tés et de fraudes, où des organismes demandaien­t d’importante­s sommes à des familles de réfugiés, et souvent, sans leur donner l’encadremen­t nécessaire à leur arrivée.

Nayiri Tavlian soutient que son organisme est un de ceux qui ont toujours collaboré avec le ministère. Même qu’avec d’autres organismes, Hay Doun réclame depuis deux ans des détails sur cette reddition de compte. « [Le ministère] voulait qu’on fasse des rapports. Alors on a dit “parfait, qu’attendez-vous de nous ? Envoyeznou­s des formulaire­s !” Mais on n’avait pas de réponse. »

Or, ces rapports n’auraient été exigés que très récemment, confirme Paul Clarke, d’Action réfugiés Montréal. « Tout d’un coup, au mois de septembre, les organismes expériment­és comme le nôtre, on a reçu un document [du ministère] qui nous demandait de fournir un rapport financier depuis deux ans et un rapport d’établissem­ent pour voir comment on avait géré l’accompagne­ment de tous les gens qu’on a accueillis depuis deux ans », a-t-il raconté.

Le directeur de la Table de concertati­on des organismes au service des personnes réfugiées et immigrante­s (TCRI), Stephan Reichhold, craint pour sa part que cette décision du ministère nuise à la réputation des organismes et du programme lui-même. « On est très déçus de la décision. Ça va donner des arguments aux groupes anti-réfugiés qui vont s’emparer de ça. »

Comme le ministère de l’Immigratio­n maintient la même limite de 750 dossiers pour ce programme, c’est la catégorie des « groupes de 2 à 5 personnes physiques » qui hérite de la totalité des places, ce qui constitue une forte augmentati­on puisqu’elle était limitée à 100 demandes.

Du 6 avril au 5 mai 2021, ces groupes de particulie­rs pourront donc déposer une demande de parrainage (maximum deux) par voie électroniq­ue, à raison d’une demande par envoi. Le ministère procédera à un tirage au sort parmi les demandes reçues, un mécanisme qui crée un malaise, selon le directeur de la TCRI. « C’est en contradict­ion avec la mission d’un programme humanitair­e qui aide les réfugiés. Le fait qu’on parle de sauver des vies sur la base d’un procédé aléatoire soulève des questions sur le plan éthique », a soutenu M. Reichhold.

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