La réponse jugée tardive et timide
Québec aurait dû mieux interpréter les signes précurseurs visibles dès le mois d’août, selon des experts
À nouveau recalé dans le lot des mauvais élèves, le Québec, en tête des infections au pays, a-t-il échoué à détecter le début de la deuxième vague ? Selon certains experts, des signes clairs d’une reprise de l’épidémie ont été sous-estimés à la fin de l’été. Mais le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, ne remet aucunement en question la séquence des décisions prises par son gouvernement.
« Moi, je situe vraiment le début de la seconde vague dans la semaine du 23 août. Il y a eu une résurgence claire des cas à ce moment », affirme le Dr Marc Dionne, médecin-conseil en santé publique et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec.
Le 23 août, le Québec dénombrait 78 cas (ou une moyenne mobile de 90 sur 7 jours). Tout semble au beau fixe, après un sursaut passager de 100 à 150 cas quotidiens relevés mi-juillet, dans la foulée d’un appel au dépistage des clients des bars. Mais dès le 31 août, le compteur bondit à 129 cas (moyenne mobile de 150 cas sur 7 jours) et franchit la barre des 247 cas le mercredi 9 septembre.
Il faudra attendre le 21 septembre pour que le directeur national de la santé publique, le Dr Horacio Arruda, déclare la « deuxième vague » amorcée et que le ministre de la Santé, Christian Dubé, appelle les Québécois à se relever les manches. Les nouvelles infections ont alors franchi la barre des 586 cas.
Le 17 septembre, le ministre Dubé se disait même « confiant », et le Dr Arruda hésitant à passer en zone orange. « Si on réagit sur un pic [si], le lendemain, ça va en baissant, c’est comme avoir utilisé un canon pour tuer une mouche ». « On est dans […] le scénario des vaguelettes.
C’est encore trop tôt pour parler d’une seconde vague. » Deux semaines plus tard, le gouvernement Legault suppliait les Québécois de « casser » cette 2e vague et il ne cesse depuis de marteler ce message.
Lors d’une entrevue accordée vendredi au Devoir, le ministre Dubé a nié que les signes d’une 2e vague étaient perceptibles à la fin août. « La réponse est non. Je pense qu’on l’a demandé assez souvent au docteur Arruda : on était-tu dedans ? C’est sûr que c’est facile de dire on aurait pu dire que c’était là… La date, c’est la date où le docteur Arruda l’a officialisée. »
« Ce qui est important pour moi, c’est qu’on n’ait pas attendu que se soit déclarée une vague pour faire des actions. Mon plan pour la deuxième vague, il était prêt le 18 août », s’est-il défendu.
Or, pour plusieurs spécialistes et cliniciens, plusieurs signaux étaient au rouge bien avant le 21 septembre, et la timidité de certaines mesures a aidé à redonner du souffle à la pandémie.
« On se retrouve encore dans les derniers de classe au Canada. On a tardé à fermer complètement les bars [1er octobre] malgré les éclosions survenues cet été. On se ramasse avec quelque chose de sévère. La région de Québec vit encore avec les restes de l’éclosion survenue au karaoké. On a perdu le contrôle et c’est difficile à rattraper », déplore l’épidémiologiste Benoit Mâsse, de l’École de santé publique de l’Université Montréal.
Le 23 août, la fameuse éclosion au bar Le Kirouac a engendré plus de 80 infections directes et causé deux décès connus. Le 30 août, le premier ministre Legault se choque : « On sent un relâchement » Le ministre Dubé s’indigne : « Ce n’est pas correct ! » Mais il faudra trois semaines pour que Québec ferme les bars de karaoké. La semaine dernière, pas moins de 17 décès et encore 1000 nouveaux cas de COVID ont été déplorés dans la capitale nationale.
« Ces grosses éclosions [comme celle du Dix30 le 5 juillet, et celle du Kirouac] expliquent en partie l’augmentation rapide des cas. C’est la différence avec la première vague. Un événement majeur peut créer rapidement 1000 cas. Arrêter ce type d’éclosions… Des cas échappent toujours aux enquêtes », soutient le Dr Antoine Delage, pneumologue-intensiviste à l’hôpital Charles-LeMoyne et président de l’Association des pneumologues.
Perdre le contrôle
La recherche de contacts apparaît toujours comme le talon d’Achille de la réponse gouvernementale à la seconde vague puisque les renforts pour retrouver les contacts de cas positifs se font attendre. Le Devoir révélait cette semaine que Québec a levé le nez plus tôt cet été sur les effectifs offerts par Statistique Canada, capables d’effectuer 20 000 appels par jour.
« Sans vaccin, tout ce qu’on a comme armes contre la COVID, ce sont les mesures de protection personnelles, le confinement et la recherche de contacts. Or, on n’est pas toujours pas capables de faire une recherche rapide. Qu’est-ce qu’il nous reste ? La fermeture partielle des classes ou des commerces », croit le Dr Marc Dionne, du CHU du Québec.
« Les équipes grandissent, mais on se demande pourquoi ce personnel n’a pas été engagé plus tôt en août. Les délais s’étirent. Cette semaine, j’ai fait les enquêtes de gens qui ont eu leurs résultats la semaine dernière », affirme au Devoir un enquêteur de la région de Montréal, sous le couvert de l’anonymat.
« La DSP a frappé un mur avec les jeunes qui ont des dizaines de contacts. Ça a miné la capacité à isoler les cas », juge la Dre Marie-France Raynault,
La recherche de contacts apparaît toujours comme le talon d’Achille de la réponse gouvernementale
cheffe du Département de santé publique et de médecine préventive du CHUM. Dès le 9 septembre, la directrice de la santé publique de Montréal, la Dre Mylène Drouin, disait disposer de 30 personnes pour retrouver en moyenne 80 contacts par cas. Aujourd’hui, la DSP de Montréal affirme avoir 184 personnes en poste.
Trop peu, trop tard
La stratégie des petits pas et les injonctions sans mesures concrètes ont aussi plombé les messages de prévention du gouvernement, croit la Dre Marie-France Raynault. « Les nouvelles mesures [fermeture des bars et restaurants, port du masque à l’école, etc.] viennent tout juste d’être implantées. On a perdu tout l’été à dire ce qu’il ne fallait pas faire, sans sévir. Une intervention précoce de la Sécurité publique aurait pu changer la donne », pense-t-elle. Aujourd’hui, les mesures tardives imposées par Québec affectent toute la population, faute d’avoir agi plus tôt envers les délinquants, déplore-t-elle.
Sur le terrain, on observe encore aujourd’hui les répercussions des premières éclosions estivales. « La première vague était régionale, concentrée à Montréal, dans des CHSLD. Là, ça arrive à la grandeur du Québec, dans des milieux de soins qui n’ont pas vécu l’expérience de la 1re vague. Un cas devient rapidement 5, 10, 15 cas. C’est ça qui fait mal, il y a des éclosions partout », affirme le Dr Gilbert Boucher, représentant des 180 médecins spécialistes en médecine d’urgence du Québec.
La rentrée scolaire précoce, et sans masques, dans plusieurs campus et écoles secondaires du Québec, explique aussi le fossé qui sépare le Québec de l’Ontario. Selon le gouvernement fédéral, on a dénombré dans tout le pays 250 écoles touchées par des infections depuis la rentrée, contre 1000 écoles au Québec, dont 781 comptent toujours des cas actifs.
« La rentrée scolaire sonne toujours le début des épidémies de maladies respiratoires et de grippe, et la COVID ne fait pas exception. Comme les immeubles du centre-ville sont encore presque tous fermés, c’est surtout la gestion des écoles qui nous différencie de l’Ontario, où les élèves sont masqués et présents seulement un jour sur deux », affirme le Dr Carl Weiss, spécialiste des maladies infectieuses à l’Hôpital général juif.
Les hésitations et retards sur le port prolongé du masque, les messages sanitaires complexes à saisir ont fait le reste croit-il. « Plusieurs patients me disent ne pas vraiment comprendre les consignes du gouvernement. On a beau donner un traitement, dit-il en exemple, si le patient ne prend pas la pilule, on ne peut pas espérer traiter la maladie. »
Sur la défensive
Cette semaine, le premier ministre François Legault a fait des pirouettes pour expliquer le fossé séparant le Québec et l’Ontario, qualifiant d’énigme la situation plus enviable observée à Toronto. À 959 cas d’infection par 100 000 habitants, le Québec affiche un taux d’infection plus de deux fois plus élevé que son voisin ontarien (390 cas/100 000 habitants), dépasse le Royaume-Uni (805 cas/100 000 habitants), talonne la France (1017) et la Belgique (1189).
Plusieurs observateurs déplorent que la préparation de cette crise anticipée soit restée centralisée à Québec. « Si on savait c’est quoi le plan, où on s’en va, ce serait plus rassembleur. À part la santé publique, peu de professionnels du réseau de la santé ont été consultés sur la préparation à cette 2e vague », affirme le Dr Boucher.
Même si cette 2e vague frappe plus de jeunes, le Dr Delage s’inquiète de la pression qui s’exerce déjà sur certains hôpitaux. « Les jeunes hospitalisés sont rares, mais ils le sont parfois des semaines. Ça prend peu de cas pour surcharger une unité de soins intensifs. L’hiver dernier, les gens âgés décédaient. Le système est déjà sursollicité. On n’a pas tellement de jeu. Des étages sont déjà retransformés en zone COVID en enlevant des lits à d’autres patients. Où et qui doit-on couper ? »
On a tardé à fermer complètement les bars [1er octobre] malgré les éclosions survenues cet été. On se ramasse avec quelque chose de sévère. La région de Québec vit encore avec les restes de l’éclosion survenue au karaoké.
On a perdu le contrôle et c’est difficile à rattraper. BENOÎT MÂSSE