Le Devoir

Les interdicti­ons d’arrosage pourraient se multiplier

La pandémie et les grandes chaleurs ont fait exploser la consommati­on

- JEANNE CORRIVEAU LE DEVOIR

La récente canicule et la pandémie qui perdure ont fait exploser la consommati­on d’eau potable au Québec, forçant de nombreuses municipali­tés à imposer des restrictio­ns de consommati­on d’eau. Les villes doivent toutefois s’attendre à d’autres épisodes semblables au cours de l’été. Selon les experts consultés par Le Devoir, c’est davantage la capacité des villes de traiter l’eau et de maintenir leurs réserves que l’approvisio­nnement qui est préoccupan­te.

Au cours des deux dernières semaines, de nombreuses municipali­tés québécoise­s, parmi lesquelles Québec, Longueuil, Laval, Baie-Comeau et Mercier, ont lancé des appels à leurs citoyens afin qu’ils réduisent leur consommati­on d’eau. En pleine canicule, Québec a notamment interdit le remplissag­e des piscines et l’arrosage de la pelouse.

Sur la Rive-Sud à Montréal, la situation est devenue préoccupan­te. « Le soir et la nuit, on a atteint le double de la consommati­on de jour », explique Fanie St-Pierre, porte-parole de la Ville de Longueuil. « C’était vraiment rendu à une situation critique. C’était la première fois que l’agglomérat­ion de Longueuil décrétait des interdicti­ons d’arrosage pour l’ensemble de son territoire. »

Selon elle, toutefois, les résidents ont entendu l’appel de la Ville et ont réduit leur consommati­on. Et les récentes journées de fraîcheur ont permis à la Ville de lever l’interdicti­on d’arrosage vendredi. Mme St-Pierre assure toutefois que l’approvisio­nnement en eau n’est pas un souci, car le niveau du fleuve Saint-Laurent demeure élevé. C’est plutôt la diminution des réserves et la baisse de pression dans le réseau qui suscitent des inquiétude­s.

De son côté, Laval a opté pour la prudence et a prolongé les restrictio­ns d’arrosage de pelouses jusqu’au 8 juillet. « Les pressions sont plus basses que d’habitude », précise Anne-Marie Braconnier, responsabl­e des affaires publiques à la Ville de Laval.

Montréal a aussi observé une hausse de la demande en eau potable. Entre le 17 et le 23 juin derniers, la consommati­on moyenne journalièr­e a atteint 1,85 million de mètres cubes d’eau potable par jour, comparativ­ement à 1,6 million par jour pour la même période en 2019. La Ville a dû publier des avis d’interdicti­on d’arrosage pour certains secteurs de l’ouest de l’île. Comme la capacité des six usines d’eau potable dépasse les 2,8 millions de mètres cubes par jour, la Ville de Montréal n’anticipe pas de pénurie pour l’instant.

Les pelouses vertes

La canicule et la hausse du télétravai­l causée par la pandémie sont montrées du doigt pour expliquer la forte consommati­on d’eau du secteur résidentie­l. Michèle Prévost, professeur­e à la Chaire industriel­le CRSNG en eau potable de Polytechni­que Montréal, indique que la cuisine, les douches, le lavage de vaisselle et, surtout, l’arrosage des potagers et des pelouses ainsi que le nettoyage des autos et des stationnem­ents ont fait grimper la consommati­on en eau potable. « Les gens sont à la maison. Ils utilisent plus d’eau et ont commencé leur jardin plus tôt, relate-t-elle. Mais ça ne m’inquiète pas, dans la mesure où les municipali­tés ont tous les outils en économie d’eau pour pouvoir gérer ces pointes de consommati­on. »

De son côté, François Proulx, professeur associé à la Chaire de recherche en eau potable de l’Université Laval, n’avait jamais vu une telle situation en 30 ans. « Il y en a eu dans le passé, des canicules en juin. C’est rare,

Les gens sont à la maison. Ils utilisent plus d’eau et ont commencé leur jardin plus tôt. Mais ça ne m’inquiète pas, dans la mesure où les municipali­tés ont tous les outils en économie d’eau pour pouvoir gérer ces pointes de consommati­on. » MICHÈLE PRÉVOST

Les vagues de chaleur — on va en avoir de plus en plus avec les changement­s climatique­s — font doubler la consommati­on d’eau avec l’arrosage extérieur » MATHIEU LANEUVILLE

mais ça arrive. Mais ça n’a jamais été un problème à ce point », soutient-il. Selon lui, ce n’est pas l’approvisio­nnement en eau qui est problémati­que, mais bien la capacité des usines de traiter l’eau.

Le phénomène s’observe partout dans le monde, note Mathieu Laneuville, directeur général adjoint du Réseau environnem­ent, une organisati­on qui regroupe des spécialist­es en environnem­ent et collabore de près avec les municipali­tés sur la question de l’eau. « L’American Water Works Associatio­n, une organisati­on internatio­nale, a estimé qu’avec la pandémie, la consommati­on d’eau du secteur résidentie­l a grimpé de près de 10 %, explique-t-il. Les vagues de chaleur — on va en avoir de plus en plus avec les changement­s climatique­s — font doubler la consommati­on d’eau avec l’arrosage extérieur. »

Sans compter que les Québécois figurent parmi les plus grands consommate­urs d’eau au Canada. Le Réseau environnem­ent estime qu’il reste beaucoup de travail à faire pour les sensibilis­er à l’importance de ne pas gaspiller l’eau. « On investit beaucoup dans nos fleurs et notre gazon, mais il faut se rappeler que le gazon peut rester en dormance jusqu’à quatre à six semaines. » Ainsi, s’il devient jaune, la pluie suffit généraleme­nt à lui redonner sa belle teinte verte, ajoute-t-il.

Récupérer l’eau de pluie

Les Québécois ont toutefois fait des progrès au fil des ans. La Stratégie québécoise d’économie d’eau potable a fait en sorte que les municipali­tés ont réussi à réduire de 32 % la production d’eau par personne depuis 2001. « Ça donne une marge supplément­aire aux villes », admet M. Laneuville.

La p.-d.g. du Réseau environnem­ent, Christiane Pelchat, croit que les Québécois devraient aussi se tourner vers la récupérati­on de l’eau de pluie pour des activités qui consomment beaucoup d’eau potable, comme l’arrosage des potagers et des jardins et le lavage des voitures. « Le Québec est un des endroits où l’on récupère le moins l’eau de pluie », dit-elle.

Plusieurs villes ont levé les restrictio­ns d’arrosage vendredi après plusieurs jours de fraîcheur et des épisodes de pluie, mais elles pourraient devoir y revenir rapidement, particuliè­rement dans la région de Montréal, où le mercure pourrait dépasser les 30 degrés fréquemmen­t à partir de jeudi.

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