DÉCONFINEMENT
Est-il trop tôt ?
Même s’il se fera avec prudence, le déconfinement graduel annoncé par Québec en début de semaine a été reçu avec plus de questionnements que d’enthousiasme.
En conférence de presse, le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, a reconnu qu’il s’agissait d’un « pari risqué ». Il a même exprimé une « réticence de ne pas savoir ce qui va vraiment se passer ».
Est-ce trop tôt pour présenter un plan de réouverture des écoles et de l’économie ? « Je crois que ce qu’on peut affirmer, c’est que le Québec est en phase avec ce qu’on observe au niveau international », souligne Christian Rochefort, professeur de sciences infirmières à l’Université de Sherbrooke.
Bien entendu, le réflexe de plusieurs Québécois a été de comparer la stratégie du gouvernement à celles d’autres provinces et pays.
Plusieurs États américains ont entamé leur déconfinement cette semaine, dont la Caroline du Sud et la Géorgie, qui ont même autorisé la réouverture des restaurants.
La Nouvelle-Zélande, qui a réussi à se couper du monde, a également entamé une reprise des activités lundi.
Plus près de nous, l’Ontario a présenté son plan de réouverture par étapes, sans pour autant l’enclencher tout de suite.
« Parfois, on a tendance à faire des comparaisons avec des indicateurs qui ne sont pas pertinents », mentionne Luc Bonneville, professeur à l’Université d’Ottawa et spécialiste des communications en matière de santé.
« Il y a des particularités sanitaires, économiques, régionales, géographiques et politiques qui varient d’un pays à l’autre et d’une province à l’autre », ajoute-t-il.
Il prévient cependant qu’il ne faut pas perdre de vue que la santé publique et l’épidémiologie ne sont pas des sciences exactes.
En fait, tout est une question de gestion de risques, rappelle Roxane Borgès Da Silva, professeure agrégée à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.
« Il n’y aura jamais de moment idéal. Il y a toujours un arbitrage, un compromis, à faire », souligne Mme Borgès Da Silva.
La spécialiste donne l’exemple des enfants défavorisés à qui l’école offre un service de déjeuner grâce à un organisme de bienfaisance. « Est-ce qu’on laisse ces enfants-là à la maison au détriment de leur santé ou est-ce qu’on peut rouvrir graduellement les écoles en prenant le risque de contamination et de propagation qui serait potentiellement contrôlé ? » questionne-t-elle.
Cet exemple a été aussi évoqué par le premier ministre en parlant de la « balance des inconvénients ».
« Il y a beaucoup plus de risques de les priver d’école pendant six mois que le risque qu’on leur fait courir, de conséquences graves, en retournant à l’école […] C’est une question d’évaluation de risques. Il n’y a rien de parfait, il n’y a rien de 100 % sûr dans la vie, mais nous, on calcule, avec la santé publique, que c’est mieux pour les enfants de retourner à l’école », a fait remarquer M. Legault.
Sachant qu’on ne pourra pas éliminer du jour au lendemain le virus, il faut donc apprendre à composer avec lui pour éviter d’autres dommages collatéraux.
« L’économie, l’argent, la santé mentale, ce sont [aussi] des déterminants de la santé […] il n’y a pas que les maladies infectieuses », a d’ailleurs déclaré le Dr Arruda plus tôt cette semaine.
« Moi, je veux éviter des suicides chez des propriétaires de PME, des divorces parce que ça va mal et de la violence faite aux enfants. Ça fait partie aussi des enjeux de santé [publique] qu’il faut être capable de mesurer », a-t-il ajouté.
L’évolution de la situation va se calquer sur le comportement des citoyens. « Ce sont les Québécois, les collectivités elles-mêmes qui vont décider ce qu’il adviendra, selon si on décide tout un chacun de respecter les règles en place », note Luc Bonneville.