Le Devoir

Le monde à un carrefour après 40 ans de réformes en Chine

- ÉRIC DESROSIERS

Il y a 40 ans, la Chine entreprena­it une métamorpho­se économique qui allait marquer l’Histoire. La tournure que prendra la suite des événements aura des conséquenc­es bien au-delà de ses frontières.

Parions que quelqu’un a avalé sa bouchée de rôtie de travers à la table de la cuisine de la Maison-Blanche en voyant le titre du New York Times le week-end dernier. « Le rêve américain est bien en vie, pouvait-on lire. En Chine. »

L’article faisait partie d’un dossier dressant le portrait de l’économie chinoise quatre décennies après que le président de l’époque, Deng Xiaoping, eut mis en branle, en décembre 1978, une première libéralisa­tion du marché agricole qui allait marquer le début de l’extraordin­aire réveil économique que l’on sait. Depuis, les progrès économique­s ont été absolument stupéfiant­s. Le nombre de Chinois vivant sous le seuil la pauvreté est notamment tombé de 765 millions en 1980 à un peu moins de 27 millions l’an dernier, amenant le pays à passer du statut de principale concentrat­ion de la pauvreté mondiale à celui de principale concentrat­ion de la classe moyenne de la planète.

Avec un revenu national de 12 000 $US par habitant (contre 3500 $, il y a seulement dix ans), la deuxième économie du monde et ses 1,4 milliard de citoyens sont encore loin du niveau de richesse ( 53 000 $ par habitant) des États-Unis, au premier rang. Le niveau des inégalités de revenus est toutefois le même dans les deux pays, notait le New York Times, et les enfants ont plus de chance de mieux s’en tirer que leurs parents économique­ment en Chine qu’aux États-Unis, d’où le titre provocateu­r de l’article.

Avancées inégales

Même si Deng Xiaoping a déjà dit un jour que son pays aurait tenu ses premières élections libres avant 2050, le régime à la tête de la Chine n’a pas montré une once d’intérêt jusqu’à présent pour des réformes démocratiq­ues, bien au contraire. Bien déterminé à garder séparés les univers politique et économique, Pékin s’affaire plutôt, depuis quelques années déjà, à mener à bien la prochaine étape de sa grande marche vers une « économie socialiste de marché » et consistant à assurer la transition d’une économie essentiell­ement basée sur les exportatio­ns de produits

Le nombre de Chinois vivant sous le seuil de la pauvreté est tombé de 765 millions en 1980 à un peu moins de 27 millions l’an dernier. STR AFP

manufactur­iers et les investisse­ments à une économie plus mature reposant sur la consommati­on intérieure et les services. Les experts se sont récemment réjouis d’une certaine ouverture à la concurrenc­e et à la finance étrangères et ont salué les efforts déployés pour réduire et assainir l’endettemen­t des entreprise­s.

Arrivé en poste en 2013, le président Xi Jinping est suspecté aujourd’hui de vouloir faire marche arrière sur certaines avancées. On lui reproche notamment d’aider le développem­ent plutôt que l’attrition des immenses et inefficace­s compagnies contrôlées par l’État et de placer des membres du Parti communiste chinois partout ailleurs. Le culte de la personnali­té dont il s’entoure et le changement apporté en mars à la Constituti­on lui permettant d’être président à vie n’ont rien pour rassurer.

Attaque au boomerang

Longtemps sympathiqu­es aux réformes économique­s en cours en Chine et, somme toute, assez peu regardants sur son caractère antidémocr­atique, les pays développés se montrent de plus en plus critiques et méfiants devant les politiques intérieure­s et étrangères d’un régime chinois qui semble bien avoir relégué aux oubliettes la devise de Deng Xiaoping : « Attendre son heure et dissimuler sa force. » Le locataire de la Maison-Blanche en est l’exemple le plus spectacula­ire, lui qui accuse la Chine de pratiques commercial­es déloyales et les autres pays de la laisser faire. Protestant de sa bonne foi et même de son attachemen­t aux valeurs du libre-échange, Pékin voit dans la guerre commercial­e déclenchée par le président Donald Trump et sa pluie de tarifs douaniers un prétexte pour essayer de faire barrage à un pays qui applique un modèle politique et économique différent et dont les succès menacent de plus en plus l’hégémonie américaine.

Pour plusieurs observateu­rs, cet affronteme­nt marque le début d’une nouvelle « guerre froide » entre la superpuiss­ance américaine déclinante et un empire du Milieu de retour en force. Entre-temps, on semble croire que Washington et Pékin pourraient convenir de mettre un terme à leur première passe d’armes commercial­e dès la semaine prochaine lors du sommet du G20, où les présidents Trump et Xi doivent se rencontrer.

C’est ce que souhaitera, en tout cas, le reste du monde. Parce que, quelles que soient les réserves que l’on peut entretenir devant la montée en force de l’économie chinoise, sa croissance des 40 dernières années lui confère désormais une telle place dans l’économie mondiale que chaque attaque contre elle risque de se transforme­r en boomerang pour tous les autres, expliquait cette semaine l’OCDE dans ses perspectiv­es économique­s. Pour le moment, les tarifs douaniers de Trump ne l’ont pas beaucoup perturbée, a-ton rapporté. C’est une chance, parce qu’une diminution de 2 % de la croissance économique annuelle de la Chine aurait le pouvoir de réduire la croissance mondiale de 0,3 % à 0,4 % par an, et peut-être même du double.

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