La postmodernité comme trahison
Le CCA offre une relecture de l’architecture qui domina la fin du XXe siècle
Cela n’aurait donc été qu’une mode passagère? Des années 1970 à la fin des années 1990, la postmodernité était le sujet de l’heure autant dans le domaine de l’architecture, des arts visuels que de la philosophie. C’est l’époque où le gouvernement du Québec commandait au penseur français Jean-François Lyotard un rapport sur le savoir. Cela donnera lieu en 1979 à la publication de l’ouvrage La condition postmoderne. Dans cette étude et bien d’autres livres qui suivirent, ainsi que dans son exposition intitulée Immatériaux (1985), Lyotard développa une réflexion qui n’a pas pris une ride. Comment définir cette ère post-industrielle ?
La transformation du capitalisme utilisant les travailleurs comme matière première en un capitalisme relégitimé sur les forces «progressistes» de l’informatique — Lyotard parlait alors de la cybernétique comme instrument de contrôle — n’en a pas fini de poursuivre l’aliénation de l’individu. Tout comme ne s’est pas achevée la crise des grands récits politiques et historiques ainsi que la commercialisation des savoirs. En effet, tout cela semble bien d’actualité.
Une exposition au Centre canadien d’architecture (CCA) se penche sur cette époque en effectuant une fine relecture ET une importante critique de cette époque. La commissaire Sylvia Lavin a su éviter les clichés sur l’architecture postmoderne, souvent interprétée comme un retour conservateur et revanchard au classicisme, aux colonnes grecques ou romaines… Il s’agit d’une expo qui ne préoccupe pas trop non plus de la palette de couleurs postmodernes, de ses tons à la fois pastel et flashs dignes de la série télé Miami Vice.
L’angle premier et original de cette présentation est la remise en question du concept de l’architecture en soi que semblait incarner le postmodernisme. L’architecture en soi pourrait se résumer par l’idée d’une recherche architecturale autonome de tout contexte de production, paradoxalement, une forme d’aboutissement mensonger de l’architecture moderne…
Pour expliquer le triomphe — artificiel? — d’une prétendue architecture d’idées, de concepts, l’expo débute par une présentation de lieux et d’organismes qui ont fait la promotion de cette approche. L’architecture en soi ne fut donc pas déconnectée de toute contingence matérielle ou contextuelle. Si elle a proliféré aussi fortement, c’est qu’elle a été appuyée par des établissements muséaux anciens comme le MoMA ou nouveaux comme le CCA ou le DAM (Deutsches Architekturmuseum de Francfort-sur-le-Main).
Les musées qui prirent de l’expansion ou qui furent fondés à cette époque appuyèrent cette idée d’une architecture comme discipline libre en se servant pourtant — dans une structure qui s’autonourrissait — des images de cette architecture afin «d’établir leur propre identité et étendre leur sphère d’influence». Cette architecture et ces établissements, qui semblaient pourtant critiquer la culture de masse médiatique, utilisèrent les systèmes de communication afin d’effectuer leur promotion, mais aussi pour constituer l’architecture et les musées comme des images symboliques fortes prêtes à être consommées par ce même système médiatique.
Cette expo déconstruit l’idée de l’architecture autonome postmoderne en utilisant sept sections tout aussi convaincantes que celle qui traite de la prétendue neutralité des musées. Nous fûmes en particulier marqués par la section qui explique comment le postmodernisme s’est nourri et fut même assujetti aux lois du marché. Des expositions sur l’architecture dans des galeries — entre autres celle de Leo Castelli par des commissaires du MoMA — devinrent comme une forme de valeur ajoutée à l’architecture postmoderne.
De plus, ces expos appuyaient l’idée d’une création libre alors que cette architecture s’enfonçait pourtant encore plus dans le système économique en tant que marchandise. Qui plus est, cette architecture postmo devenait en fait un nouveau modèle économique où l’art était encore plus instrumentalisé par le système…
L’architecture en soi et autres mythes postmodernistes Commissaire: Sylvia Lavin. Commissaire associée : Sarah Hearne. Au CCA jusqu’au 7 avril.