Le Devoir

Le médecin malgré lui

- LOUIS CORNELLIER Jean Lemieux sera au Salon du livre de Montréal le 17 novembre.

Jean Lemieux est médecin et romancier. Comme Jacques Ferron, son mentor, se plaît-il à répéter. Critique de polars au Devoir, Michel Bélair a souvent souligné la qualité des romans de Lemieux, en parlant d’une «écriture efficace et toujours juste» et de personnage­s «bien campés, échappant la plupart du temps aux gros traits et à la caricature ». En résumé, écrivait Bélair en 2009, «Lemieux sait raconter les histoires».

Dans Une sentinelle sur le rempart (Québec Amérique, 2018,

208 pages), c’est, pour la première fois, la sienne qu’il raconte, celle du petit hockeyeur d’Iberville, friand de lecture, devenu médecin presque malgré lui. «Je pratique ce métier depuis près de quarante ans, écrit-il aujourd’hui, sans jamais m’être départi du sentiment d’être un imposteur. J’ai toujours porté en moi cet autre rêve : écrire. »

Comme ses prédécesse­urs tiraillés entre l’appel de la médecine et celui de la littératur­e, comme les Ferron et Tchekhov, par exemple, Lemieux n’est pas tout à fait un médecin comme les autres. Au cégep, en 1971, il n’appartient pas au camp des «bolés». Tenté par le hasch et le psychédéli­sme, il coule ses cours de science et décide de s’inscrire en lettres, avant de revenir vers les sciences en vue de devenir médecin.

L’appel littéraire

Ce déchiremen­t entre ces deux vocations ne le quittera jamais vraiment. La médecine s’imposera, finalement, mais non sans peine, et, reconnaît Lemieux, «pour combler un vide intérieur, accomplir un exploit, devenir quelqu’un».

Cette présence permanente de l’appel littéraire chez lui est ce qui rend son «parcours de médecin» particuliè­rement digne d’intérêt. Lemieux s’avoue notamment «peu porté vers la science» et plus attiré par les histoires de ses patients. Il aime surtout « questionne­r une personne, l’examiner, la comprendre», confie-t-il. «Les liens que je tisse avec mes patients m’intéressen­t beaucoup plus que le traitement de leurs maladies.»

Dans le corps médical, les docteurs en humanité de ce type sont plutôt rares. Bien des raisons, évidemment, expliquent la froideur qui est devenue la norme dans cet univers, et les médecins n’en sont certes pas les seuls responsabl­es. Je me permets néanmoins de formuler l’hypothèse suivante: si plus de médecins fréquentai­ent assidûment et réellement la littératur­e, si les grandes oeuvres étaient présentées comme une école de vie au coeur de la formation médicale, les malades auraient moins souvent l’impression d’être traités comme du menu fretin et les médecins, comme de simples exécutants.

Plutôt modeste, Lemieux ne se présente jamais comme un médecin extraordin­aire. Son parcours, cependant, l’a mené sur des chemins peu fréquentés. Omnipratic­ien pendant plus de dix ans aux îles de la Madeleine, où il a notamment accompagné Georges Langford sur scène à la basse, Lemieux a appris à pratiquer une médecine de campagne peu portée sur le surdiagnos­tic et semble en avoir tiré une sagesse thérapeuti­que: soigner, au fond, c’est d’abord accompagne­r.

Il s’est ensuite consacré aux soins physiques des patients de l’Institut universita­ire en santé mentale de Québec. Encore là, nous sommes loin de la médecine à paillettes. «Aux Îles ou à l’Institut, note Lemieux, j’ai travaillé toute ma vie en région éloignée, dans un archipel avec pas de clefs, dans une citadelle avec plein de clefs.» Plus encore, le doc romancier dit avoir «toujours travaillé selon un salaire horaire», ce qui ajoute à sa marginalit­é, aussi relative soit-elle.

La vocation et l’argent

Retraité depuis l’été dernier, Lemieux, avant de quitter l’hôpital, a fait des pieds et des mains pour contrer les effets délétères de l’administra­tion libérale en santé. « Si j’écris des histoires de meurtre, demande-t-il, est-ce parce que j’ai envie de tuer quelqu’un ? » Peiné par la mauvaise réputation qui afflige les médecins depuis quelques années, notamment pour des raisons de rémunérati­on gargantues­que, Lemieux veut nous convaincre que, quoi qu’on en pense, le médecin « est mû par le désir de ser vir ».

J’ai envie de le croire. Sa descriptio­n de son travail, de ses nuits de garde, de ses rencontres avec les patients ne laisse pas de doute: les médecins, en général, se donnent à fond, trop, même, souvent. Le problème avec eux, s’il y en a un, n’est pas là. Quand Lemieux lâche, au détour d’une des quelques complainte­s qui parsèment son livre, qu’il aurait «volontiers gagné moins pour vivre plus », j’ai envie de le prendre au mot.

Pourquoi, en effet, ne pas réduire raisonnabl­ement le salaire des médecins et, avec l’argent ainsi épargné, en former plus? De cette façon, les patients seraient mieux servis, par plus de médecins animés par la vocation, moins épuisés, plus heureux et, aurais-je le goût d’ajouter, de retour parmi nous. Je rêve : les médecins écrivains m’inspirent.

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