Le Devoir

Tournis historique­s

Le MNBAQ procède à un déploiemen­t critique de ses collection­s

- JÉRÔME DELGADO COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Avec l’inaugurati­on mercredi du redéploiem­ent des collection­s d’art ancien et d’art moderne — une affaire de 700 oeuvres réparties en cinq salles — le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) met fin au chantier amorcé il y a sept ans. L’apparition d’un pavillon tout neuf en juin 2016 a en effet provoqué une réorganisa­tion de tout le complexe. Et suscité une audacieuse remise en question.

L’exposition 350 ans de pratiques artistique­s au Québec n’est pas qu’un imposant étalage de ce que le MNBAQ accumule depuis son époque «Musée de la province». Mené de front par une équipe majoritair­ement féminine, dont la conservatr­ice de l’art moderne Anne-Marie Bouchard, ce nouveau déploiemen­t pointe les revers d’une muséologie fortement coloniale, masculine et blanche.

L’étendue à la fois physique, temporelle et stylistiqu­e du programme ne vient pas sans égarements. Mais les rapprochem­ents inappropri­és ou l’impression de redondance (l’art religieux et le genre paysage abondent) ne pèsent pas dans la balance. Le récit des arts depuis la NouvelleFr­ance jusqu’aux années 1960, car c’en est un, récit, repose sur un éclairage inusité. Il est moins didactique, plus aéré et plus ancré sur la réalité.

Plus lumineux

Premier et étonnant constat: le vieux pavillon Gérard-Morisset, où se déploie l’expo 350 ans…, baigne dans la lumière naturelle. Il n’a pas été reconstrui­t, mais on a fait renaître plusieurs de ses fenêtres. Surtout, les portes de l’entrée d’origine sont désormais en position ouverte. Même si une vitre empêche de s’en servir comme d’un accès, ce petit geste est fort. Le visiteur ne s’enfouit plus bêtement dans le passé.

Le retour en Nouvelle-France, et dans sa méconnaiss­ance du territoire et de ses premiers habitants, se fait avec l’année 2018 en tête. Le défit était grand: comment parler de ce que l’histoire de l’art n’a pas retenu? Comment inclure les Autochtone­s, mais aussi les femmes et tous les autres artistes dont les pratiques ont été mises de côté parce qu’elles ne correspond­aient pas aux canons?

L’expo 350 ans… ne reformule pas l’histoire. Mais elle en détaille, sans les crier, les tics. Le diable est dans les détails, non? Il n’y a pas que célébratio­n de chefs-d’oeuvre, mais la conversion des non-croyants, la haute estime que les nobles ont d’eux-mêmes, la marchandis­ation du corps féminin…

Cinq mots-valises

La répartitio­n des 700 oeuvres, dont 400 n’avaient, paraît-il, jamais été montrées, a été faite selon cinq motsvalise­s (croire, devenir, imaginer, ressentir, revendique­r), destinés à couvrir une période. Le design, distinct d’une salle à l’autre, insiste sur la transparen­ce de l’approche de la commissair­e, sur le revers des choses (beaucoup d’oeuvres dos à dos), sur la nouveauté du regard.

Dans la section de l’art religieux, c’est un tabernacle en cours d’acquisitio­n, propriété jusque-là du sanctuaire de Sainte-Anne de Beaupré, qui est la vedette. Monumental, il parle de la désaffecti­on lente, mais constante, des églises. Il évoque aussi la longévité de la pratique artistique religieuse (sa réalisatio­n s’étale de 1692 à 1828) et de l’évolution de l’histoire de l’art, car l’objet avait d’abord été attribué faussement à un seul artiste. Par qui? Oups, par Gérard Morisset, jadis directeur du Musée.

Dans la section Devenir, les portraits abondent, dont ceux de plusieurs dames… femmes des nobles du XVIIIe siècle. Quelque part à travers ces diptyques de couples bourgeois surgit le seul artiste autochtone de l’expo, Zachary Vincent. Son autoportra­it de 1852-1853 est une riposte à la peinture peu représenta­tive des Premières Nations — quand celles-ci s’y retrouvent. Pas tellement loin, le Massacre des Hurons par les Iroquois (1827-1828) de Joseph Légaré, les paysages idylliques de Krieghoff ou, ailleurs, l’historique Jacques-Cartier rencontre les Indiens à Stadacomé, 1535 (1907), de SuzorCoté, lui donnent raison.

C’est dans la section Imaginer, où les artistes se font un devoir de relater l’histoire, quitte à l’exagérer, comme Suzor-Coté, que le design prend de l’ampleur. On y a reconstitu­é presque l’atelier de Napoléon Bourassa, dont l’inachevée fresque L’apothéose de Christophe Colomb (1905-1912) accueille les visiteurs.

On y retrouve aussi un tapis rouge pour commenter la célébrité et la politisati­on des peintures. Mais au-delà de ces grands tableaux, la commissair­e sort de l’oubli, par le truchement de la technologi­e numérique, les noms et paroles de trois femmes et filles d’hommes célèbres. Des capsules vidéo disponible­s à l’aide du «médiaguide» télécharge­able mettent, sinon, à contributi­on Natasha Kanapé Fontaine et d’autres voix pour commenter les collection­s.

C’est dans la dernière salle, Revendique­r, consacrée au XXe siècle, que les artistes femmes prennent la place. Certaines sont connues (Marcelle Ferron, Marian Dale Scott), d’autres un peu moins (Anne Savage, Suzanne Guité), d’autres presque plus (Madeleine Laliberté, Sarah Robertson), mais elles y sont au même niveau que les Jackson, Lemieux, Roussil et Riopelle qu’elles ont côtoyés.

Si la dispositio­n par thèmes suit la chronologi­e de 350 ans, l’intérieur des salles est plus éclaté. Anne-Marie Bouchard s’est visiblemen­t plu à brouiller les courants artistique­s, à ne pas catégorise­r une oeuvre dans l’histoire, comme elle l’a dit lors de la visite de presse, pour plutôt susciter l’émotion des visiteurs.

350 ans de pratiques artistique­s au Québec

Au Musée national des beaux-arts du Québec, jusqu’en novembre 2026

 ??  ??
 ??  ??
 ?? IDRA LABRIE ?? Vues de l’exposition 350 ans de pratiques artistique­s au Québec
IDRA LABRIE Vues de l’exposition 350 ans de pratiques artistique­s au Québec

Newspapers in French

Newspapers from Canada