Le Devoir

Polar au féminin

Steve McQueen livre un polar féministe au tissage complexe et imparfait

- ODILE TREMBLAY

Le grand cinéaste britanniqu­e Steve McQueen, auteur de l’oscarisé Twelve Years a Slave en 2014 sur l’esclavage, mais aussi de l’oeuvre coupde-poing Shame (2011) et de Hunger, son premier film, sur les derniers jours du leader de l’IRA Bobby Sands, coiffé à Cannes de la Caméra d’or en 2008, avait jusqu’ici donné la vedette à des héros masculins.

Voici qu’il aborde, dans le registre du polar en un style plus balisé qu’à son habitude, collé au film d’action, des univers féminins en bouquet adaptés d’une série télé britanniqu­e. Le cinéaste vise de toute évidence un public élargi à travers l’univers du cinéma de genre, tout en y explorant les enjeux du deuil, de la condition féminine, des abus de pouvoir, du racisme, de la trahison, de la corruption des politicien­s et de la férocité des groupes criminels. Avec des revirement­s souvent inattendus et une complexité de trame, la résilience et la prise de risques face au danger se déclinent en plusieurs temps.

L’action est menée tambour battant. Le film met en scène, dans un Chicago d’inégalités raciales, des veuves de cambrioleu­rs, d’origines ethniques et de classes sociales diverses, après que leurs conjoints truands se sont fait zigouiller sur un coup foireux. Les plans de leur prochain braquage en main, ces dames s’unissent pour l’exécuter afin de payer des malfrats et dans l’espoir de cuver par la suite une retraite paisible. Mais rien ne se passe comme prévu, bien entendu.

On est à l’ère des #MoiAussi et plusieurs réparties et situations montrant ces femmes casser les moules machistes sont jouissives. L’Afro-Américaine Viola Davis domine le jeu en femme qui tire les ficelles et entraîne les autres veuves dans ce train d’enfer pour rembourser les dettes de son mari tout en cachant des failles intimes devenues béantes. Toute la distributi­on s’avère exceptionn­elle avec des pointures comme Michelle Williams (quand même sous-utilisée), Colin Farrell, Robert Duvall, Daniel Kaluuya et Liam Neeson. Même les figures secondaire­s sont incarnées par des interprète­s de haut niveau.

McQueen aurait pu creuser davantage la psyché de ses personnage­s, dont certains sont laissés en plan au profit des rebondisse­ments de l’action, certains rocamboles­ques. Avec son perfection­nisme légendaire (il est également un artiste plasticien de premier plan), la qualité ne peut qu’être au poste, malgré quelques coins tournés ronds: effets-chocs sur poursuites et carambolag­es, montage rythmé, caméra d’un esthétisme parfois excessif par rapport au ton du film.

La dynamique entre ces femmes si différente­s est la clé de voûte de Widows, ouvrant chaque fois sur des univers en vase clos, dont aucune ne pourra vraiment s’échapper, dévoilant chaque fois des plaies de la ville gangrenée qu’est Chicago. Elizabeth Debicki, dans son rôle d’escorte et de femme blessée par tous qui prend confiance en elle, offre une prestation particuliè­rement aiguisée. Mais le film embrasse tant d’enjeux, dont ceux de la politique dynastique pourrie, sur performanc­es de Robert Duvall et Colin Farrell, et du corps policier qui ne vaut guère mieux, et ce, à travers tant de modes, dont certains assez sirupeux, d’autres d’un humour noir, qu’il égare parfois sa charge pour tourner à la parodie féminine des Ocean’s 8. McQueen se rattrape, mais entre divertisse­ment et oeuvre à portée sociale et féministe, il a du mal parfois à bien attacher ses trop nombreux fils.

 ?? 20 TH CENTURY FOX ?? Viola Davis (à gauche), ici avec Cynthia Erivo, domine le jeu en femme qui tire les ficelles.
20 TH CENTURY FOX Viola Davis (à gauche), ici avec Cynthia Erivo, domine le jeu en femme qui tire les ficelles.

Newspapers in French

Newspapers from Canada