Le Devoir

D’une convergenc­e indépendan­tiste à l’autre

- Harold Bérubé Université de Sherbrooke Maxime Corriveau Cégep de Thetford

Une fois par mois, Le Devoir lance à des passionnés d’histoire le défi de décrypter un thème d’actualité à partir d’une comparaiso­n avec un événement ou un personnage historique.

Les dernières élections ont été désastreus­es pour le Parti québécois (PQ), tant pour ce qui est du pourcentag­e de voix exprimées en sa faveur (17,06 %) que du nombre de députés élus (10). À titre de comparaiso­n, lors de ses premières élections générales en 1970, le parti récolte un peu plus de 23 % des suffrages et 7 sièges.

Des voix, comme celle de l’ancien ministre péquiste Réjean Hébert, se sont rapidement fait entendre pour appeler de nouveau à une convergenc­e du PQ et de Québec solidaire (QS). Selon Hébert, ces partis partagent essentiell­ement les mêmes valeurs et se distinguen­t surtout pour ce qui est des moyens et de l’empresseme­nt à les mettre en oeuvre. Ils devraient donc s’unir de manière à former un nouveau parti, une « union solidaire » souveraini­ste et sociale-démocrate.

Pour l’historien, cette propositio­n a un petit air de déjà-vu et soulève d’importante­s questions quant à la faisabilit­é d’une telle coalition et à ses chances d’atteindre le pouvoir.

L’indépendan­ce : de droite à gauche

L’indépendan­ce du Québec a d’abord été pensée à droite. Il s’agissait de doter le Canada français, largement minoritair­e en Amérique du Nord, d’un État français et catholique au sein duquel il serait maître chez lui. Promu par Edmond de Nevers dès la fin du XIXe siècle, repris par une poignée d’intellectu­els dans les années 1920 et surtout 1930, cet indépendan­tisme est mû par le nationalis­me canadien-français.

Après la Seconde Guerre mondiale, c’est l’Alliance laurentien­ne, mouvement politique fondé par Raymond Barbeau en 1957, qui en prend le relais. Néanmoins, cette idée est loin de faire l’unanimité à droite et alimente d’importants débats. C’est qu’il s’agit d’une propositio­n radicale en soi, mais qui circule également de plus en plus à l’autre extrémité du spectre idéologiqu­e.

La figure de Raoul Roy permet de comprendre comment cet indépendan­tisme s’enracine à gauche. Dans les années 1930, Roy flirte avec le fascisme et le communisme, à la recherche d’un moyen de libérer les Canadiens français de leur oppression. Il est le premier, à la fin des années 1950, à concilier un indépendan­tisme résolument nationalis­te à un socialisme puisant dans les luttes de décolonisa­tion qui prennent forme autour du globe.

Ce sont des idées qu’il exprime dans La Revue socialiste (1959-1965), qu’il fonde et anime. D’autres que lui reprennent et poursuiven­t sa réflexion, notamment les animateurs de la revue Parti pris. Ils feront coexister au sein de leur indépendan­tisme, et dans des proportion­s qui varient, nationalis­me et socialisme. Pour le dire autrement, ils rêveront d’un État indépendan­t qui mènerait non seulement à la libération du Canada français, mais à celle de sa classe ouvrière.

L’indépendan­ce : de la marge au centre

Ces deux indépendan­tismes donnent naissance à différents partis politiques. À gauche, on retrouve le Rassemblem­ent pour l’indépendan­ce nationale (RIN), créé comme mouvement politique en 1960 et devenant un parti en bonne et due forme en 1963. À droite, on assiste en 1966 à la création du Ralliement national (RN), parti politique né de la fusion du Regroupeme­nt national, formé de membres du RIN qui ont rompu avec lui à cause de son virage prononcé à gauche, et du Ralliement des créditiste­s du Québec, formés d’adeptes des théories du crédit social qui ont connu un certain succès dans l’ordre gouverneme­ntal fédéral. Le RIN est bien enraciné dans la région montréalai­se, le RN l’est surtout dans l’est du Québec et dans la région de la Vieille Capitale.

Au-delà du récit événementi­el complexe de la création de ces formations politiques, retenons qu’elles sont politiquem­ent marginales. Aux élections générales de 1966, qui portent au pouvoir l’Union nationale de Daniel Johnson, le RIN récolte 5,55 % des voix, et le RN 3,21 %.

La rupture avec le Canada demeure une option radicale au milieu des années 1960. Cela change avec l’arrivée en scène de René Lévesque et du Mouvement souveraine­té-associatio­n (MSA). Au cours de l’année 1967, Lévesque tente en vain d’amener le Parti libéral du Québec à embrasser un nationalis­me plus revendicat­eur à travers sa propositio­n de souveraine­té-associatio­n. Il quitte le parti avec quelques alliés en octobre et met sur pied son propre mouvement, le MSA, en novembre.

Ex-ministre et maître d’oeuvre d’importante­s réformes, Lévesque a une expérience du pouvoir et de la politique. Ancien journalist­e, il est également une figure connue et appréciée du grand public. Moins radicale que l’indépendan­ce, la souveraine­té-associatio­n apparaît comme une propositio­n modérée qui a le potentiel de rassembler une majorité de Québécois et de Québécoise­s.

Rallier la droite, rassembler la gauche

Y aura-t-il convergenc­e de ces différents partis politiques ? Et, si oui, selon quelles modalités ? Lors du congrès d’avril 1968 qui marque officielle­ment la fondation du MSA, les délégués confient à l’exécutif du mouvement le mandat de négocier avec le RIN et le RN pour créer un seul parti indépendan­tiste.

Les négociatio­ns avec le RN aboutissen­t rapidement à un rapprochem­ent entre les deux formations. Elles partagent toutes deux un certain pragmatism­e politique, une vision assez similaire d’un néonationa­lisme québécois qui ne fait pas entièremen­t table rase du passé et l’idée d’un nouveau statut constituti­onnel pour le Québec qui ne romprait pas entièremen­t avec le Canada.

À l’opposé, les négociatio­ns avec le RIN sont difficiles et mènent à une impasse. Au-delà d’un indépendan­tisme commun, le RIN embrasse une série de positions que rejettent les fondateurs du MSA : rupture complète avec le Canada, volonté révolution­naire de revoir en profondeur les structures politiques, sociales et économique­s du Québec, divergence sur la place de la langue anglaise dans un nouvel État québécois, recours à des méthodes et à une approche qui privilégie­nt la confrontat­ion et qui ouvrent la porte à une certaine violence. Ce dernier aspect est spectacula­irement mis en scène lors des fêtes de la Saint-Jean-Baptiste de juin 1968 — le fameux « lundi de la matraque » — qui compromett­ent les discussion­s entre le MSA et le RIN.

En octobre 1968, le MSA et le RN fusionnent pour donner naissance au Parti québécois. Dans les semaines qui suivent, le RIN se saborde, ses chefs invitant ses membres à investir le PQ afin d’y défendre leurs positions. Fruit de la convergenc­e de différente­s mouvances indépendan­tistes aux valeurs parfois assez éloignées, le nouveau parti politique s’attire rapidement les critiques féroces de ses adversaire­s de gauche comme de droite. On verra par exemple l’Union nationale associer le PQ aux dangers du bolchevism­e en marche, alors que dans les groupes et revues socialiste­s, on attaquera le caractère fondamenta­lement petit-bourgeois d’un parti dirigé par un ancien ministre libéral.

Vers une nouvelle convergenc­e ?

Dans les décennies qui suivent, l’histoire du PQ est traversée de tensions qui résultent en bonne partie de son caractère de coalition. Qu’il s’agisse des débats relatifs aux modalités d’accession à l’indépendan­ce, aux structures et au fonctionne­ment du parti, à ses positions sur une variété de questions sociales et économique­s, ces différends mènent parfois à des divisions et à des départs spectacula­ires, mais jamais à un éclatement de la coalition.

La défaite référendai­re de 1995 a de toute évidence changé la donne. Au risque de simplifier les choses, disons que l’atténuatio­n de la polarisati­on fédéralism­e/souveraini­sme a ouvert la porte à d’autres configurat­ions de l’échiquier politique québécois.

Dans ce contexte, cet électorat des régions plus nationalis­te que socialiste dont avait hérité le PQ s’est déplacé graduellem­ent du côté de l’Action démocratiq­ue du Québec d’abord, puis de la Coalition avenir Québec (CAQ), alors que ceux pour qui l’indépendan­ce était d’abord et avant tout une voie vers une véritable révolution québécoise solidement ancrée à gauche se sont retrouvés de plus en plus au sein de QS. Entretemps, le PQ mettait en veilleuse ce qui avait autrefois été sa force attractive : le projet de pays. L’élection du 1er octobre dernier semble marquer l’aboutissem­ent du processus de décomposit­ion de la coalition créée en 1968.

Dans ce contexte, que dire de cette convergenc­e QS-PQ proposée par certains souveraini­stes ? D’une part, sa faisabilit­é est loin d’être évidente. Comme avec le MSA et le RIN en 1968, il n’est pas clair que les positions des deux partis sont compatible­s. QS a été formé en bonne partie en réaction aux politiques adoptées sous Lucien Bouchard et, depuis, le parti n’a cessé de critiquer les positions d’un PQ qui sera toujours trop modéré à ses yeux.

D’autre part, en supposant qu’une telle fusion entre les deux partis ait lieu, elle ne recomposer­ait que très partiellem­ent la coalition péquiste, laissant en plan cet électorat des régions du Québec qui a permis à la CAQ de prendre le pouvoir et qui, le temps le dira, se plaira peut-être dans ce nouveau nationalis­me autonomist­e, cette «troisième voie» qu’incarne désormais Legault.

Il est loin d’être clair qu’un parti défendant à la fois l’indépendan­ce et des positions fermement ancrées à gauche est en mesure de rallier une majorité d’électeurs comme pouvait le faire la coalition péquiste. L’indépendan­ce est-elle alors condamnée à retourner dans la marge ? À moins qu’un nouveau système politique proportion­nel ne rende ces questions caduques. Encore ici, rien n’est moins sûr.

Pour proposer un texte ou pour faire des commentair­es et des suggestion­s, écrivez à Dave Noël, dnoel@ledevoir.com. Pour lire ou relire les anciens textes du Devoir d’histoire, ledevoir.com/societe/le-devoir-de-philo-histoire.

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ANTOINE DÉSILETS René Lévesque et Pierre Bourgault au début des années 1970
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Harold Bérubé
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Maxime Corriveau

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