Le Devoir

Peut-on compenser ses émissions, et comment ?

Planter des arbres peut être efficace, à condition de respecter certains critères

- KARL RETTINO-PARAZELLI Émissions de GES au Québec

Si la planète vous tient à coeur et que vos efforts pour limiter votre empreinte environnem­entale ont atteint leur limite, une multitude de programmes vous permettent de compenser vos émissions de gaz à effet de serre (GES) en finançant des projets de reboisemen­t. S’agit-il d’une solution prometteus­e ou d’une façon de se donner bonne conscience? Réponse en quatre temps.

Plusieurs programmes de compensati­on des GES offerts au Québec ou ailleurs dans le monde misent sur la plantation d’arbres parce que les végétaux captent naturellem­ent le gaz carbonique (CO2) et peuvent l’emprisonne­r pendant des décennies. Le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (GIEC) évalue que les forêts captent actuelleme­nt 25 % du carbone émis par les activités humaines et que cette contributi­on pourrait passer à 40 % avec des efforts de reboisemen­t modestes.

Des citoyens, des entreprise­s ou des organismes gouverneme­ntaux peuvent donc profiter de cette capacité naturelle de séquestrat­ion du CO2 en achetant des crédits carbone, lesquels correspond­ent à un nombre d’arbres plantés.

Une solution de dernier recours

Avant de penser à compenser ses émissions de GES, il faut d’abord tenter de les réduire le plus possible, insiste le professeur de l’Université du Québec à Chicoutimi Claude Villeneuve, qui a mis sur pied il y a dix ans le programme de compensati­on de GES Carbone boréal, également consacré à la recherche scientifiq­ue.

«Ce qui est important, c’est de réduire ce sur quoi on a le contrôle, dit-il en évoquant par exemple la consommati­on d’essence. La compensati­on devient un outil pour effacer des émissions qui sont inévitable­s. »

Les détracteur­s des programmes de compensati­on de GES affirment que les crédits carbone donnent bonne conscience aux pollueurs. « Souvent, les gens sont contre parce qu’ils disent que ça n’encourage pas à changer les comporteme­nts, reconnaît Catherine Potvin, biologiste et écologiste forestière à l’Université McGill. Mais reste que la seule façon scientifiq­ue prouvée de contrôler le climat, pour compenser des émissions, c’est de planter des arbres. »

Gare à la « fraude »

Pour que la compensati­on des émissions de GES soit réelle et efficace, la plantation d’arbres doit respecter plusieurs critères. Il faut d’abord que les arbres soient à l’abri de toute interventi­on humaine pendant une longue période de temps (entre 50 et 70 ans au Québec) afin que la séquestrat­ion du carbone soit assurée. Pour tenir compte des incendies qui ravagent certaines forêts et du même coup libèrent le carbone qu’ils ont emprisonné, les programmes reconnus se donnent généraleme­nt une marge de manoeuvre en plantant un nombre d’arbres supplément­aires.

Pour être valide, il faut également que le projet de plantation d’arbres soit « additionne­l », c’est-à-dire qu’il n’aurait pas vu le jour n’eût été l’achat de crédits carbone pour compenser des GES.

« Il y a de la fraude sur le marché, constate Luc Guimond, cofondateu­r de l’entreprise québécoise de compensati­on d’émissions de carbone CO2 Environnem­ent (qui deviendra bientôt NatureLab. World). Certains vendent des crédits carbone pour des forêts plantées il y a 30 ans. Des arbres ont été plantés pour faire des 2X4 et des gens utilisent ces arbres pour vendre des crédits carbone. »

« La qualité des compensati­ons volontaire­s varie beaucoup », acquiesce M. Villeneuve.

Comment s’y retrouver ?

Pour savoir à quelle porte cogner pour acheter des crédits carbone et compenser ses émissions de GES en plantant des arbres, il faut faire ses devoirs, explique le professeur Villeneuve. « La première chose, c’est de s’assurer que tout est transparen­t, dit-il. Si c’est trop beau et que ce n’est pas cher, il faut se poser des questions. »

Il est possible de vérifier si des documents expliquent comment seront plantés les arbres, si le protocole est vérifié par un organisme indépendan­t et si le programme respecte des critères reconnus, comme ceux du Voluntary Carbon Standard ou du Voluntary Gold Standard.

« Ça prend une certificat­ion reconnue mondialeme­nt, sinon c’est n’importe quoi », insiste M. Guimond, dont l’entreprise met sur pied des projets certifiés Gold Standard.

Lorsqu’on a toutes les informatio­ns en main, il faut faire un « choix de valeurs », conclut M. Villeneuve. Veut-on acheter des crédits carbone qui permettron­t de planter des arbres dans le nord du Québec, ou préfère-t-on miser sur des projets dans les pays du Sud, où les arbres poussent beaucoup plus vite, en plus de profiter aux population­s locales de différente­s façons ?

« Quand il est question d’environnem­ent, il n’y a pas de geste insignifia­nt », souligne-t-il.

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Empreinte des destinatio­ns choyées des Québécois (tCO2)
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