L’indice « ne dit pas tout »
Le ministre de l’Éducation promet de répondre « aux besoins des élèves »
Interpellé par les nouveaux indices de défavorisation qui pénalisent des élèves vulnérables, le ministre Jean-François Roberge affirme avoir enclenché le processus visant à établir des planchers de services dans les écoles du Québec.
Le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur dit comprendre les inquiétudes du milieu scolaire, surtout à Montréal, qui dénonce les nouveaux calculs des indices de défavorisation des écoles.
Le Devoir a rapporté vendredi que 27 écoles montréalaises subiront des coupes totalisant 2,98 millions de dollars à cause de l’embourgeoisement dans les quartiers centraux de Montréal. Ces écoles recevaient des fonds destinés aux écoles défavorisées, mais sont désormais considérées comme favorisées. Pourquoi ? À cause de l’arrivée de familles aisées, principalement dans les quartiers Rosemont–La Petite-Patrie, Villeray et le Plateau-Mont-Royal.
« Les indices de défavorisation sont de précieuses mesures pour répartir les fonds et les services professionnels. Cependant, ils ne disent pas tout », a indiqué par courriel le cabinet du ministre Jean-François Roberge.
« Le ministre sera à l’écoute des préoccupations des intervenants et fera au mieux pour que les services soient répartis de la meilleure façon possible pour répondre au critère essentiel à nos yeux : les besoins des élèves, poursuit le ministre. La volonté de notre gouvernement est claire : chaque élève doit avoir accès aux services dont il a besoin pour s’épanouir pleinement. Dans cet esprit, nous nous sommes engagés à établir des planchers de services dans les écoles. Notre équipe est déjà au travail dans ce dossier. »
Onde de choc
La révision de l’indice de défavorisation des écoles soulève l’inquiétude dans toutes les commissions scolaires du Québec. Le milieu de l’éducation craint un choc budgétaire comme celui qui frappe Montréal et prive des élèves vulnérables de services évalués à plusieurs centaines de milliers de dollars.
« Votre nouvelle a provoqué une onde de choc non seulement à Montréal, mais dans toutes les régions. Les gens se demandent quel sera l’impact des nouveaux indices de défavorisation dans leurs écoles », dit Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), qui représente 68 000 enseignants au Québec.
Les gens se demandent quel sera l’impact des nouveaux indices de défavorisation dans leurs écoles JOSÉE SCALABRINI
Cette inquiétude généralisée est due aux nouveaux indices de défavorisation établis d’après le recensement de 2016. C’était la première fois depuis l’année 2006 que le recensement comportait un questionnaire long, qui avait été aboli par le gouvernement Harper — sous le prétexte que la procédure était trop intrusive dans la vie privée des Canadiens.
Résultat : depuis douze ans, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec (MEES) avait un portrait incomplet de la population québécoise. Avec le rétablissement du questionnaire long du recensement par le gouvernement Trudeau, en 2016, l’État a une image beaucoup plus claire de la population.
Cette image est dévastatrice : les responsables du MEES se sont rendu compte que les résidents de plusieurs quartiers ne sont plus du tout les mêmes qu’il y a douze ans.
Ce choc démographique se traduit par un choc budgétaire dans les écoles de quartiers autrefois pauvres, qui accueillent des familles de jeunes professionnels avec enfants. Ainsi, quatorze écoles de Rosemont–La Petite-Patrie, au centre de Montréal, seront privées à elles seules de 1,8 million de dollars à cause de cet embourgeoisement fulgurant.
Deux exemples frappent l’imagination : l’école secondaire Père-Marquette aura 413 000 $ de moins. L’école primaire Marie-Favery, dans le quartier Villeray, sera privée de 245 000 $.
«C’est énorme, dit Josée Scalabrini. On n’a jamais fait les ajustements qui s’imposaient depuis douze ans, parce qu’on ne connaissait pas la réalité. Aujourd’hui, les gens sont en panique dans les écoles partout au Québec. »
Évidemment, certaines écoles perdent au change, et d’autres «gagneront » — si on peut considérer comme une victoire le fait d’avoir droit à des fonds destinés aux écoles défavorisées. Le MEES a commencé à annoncer les conséquences des nouveaux indices de défavorisation aux commissions scolaires, mais les chiffres officiels n’ont pas été diffusés publiquement. D’où les inquiétudes du milieu de l’éducation.
Gabriel Nadeau-Dubois, de Québec solidaire, est député de la circonscription de Gouin, située à Rosemont. Il évoque lui aussi un « choc » qui frappe son quartier. « Il est absolument impossible de demander à des écoles de faire des coupes comme celles-là, surtout pas après l’austérité libérale qu’on a vécue. C’est un wake-up call pour tout le milieu de l’éducation, surtout montréalais. »
Lui et d’autres représentants du milieu de l’éducation — y compris les syndicats et la Commission scolaire de Montréal (CSDM) — demandent un sursis pour les écoles frappées par la révision des indices de défavorisation. QS demande carrément un moratoire sur les coupes budgétaires. La députée Véronique Hivon, du Parti québécois, réclame de son côté un plan de transition pour amoindrir le choc.
Québec solidaire, le Parti québécois, la CSDM, les syndicats et les associations de cadres scolaires demandent aussi une révision des critères qui déterminent la défavorisation. À l’heure actuelle, la scolarité de la mère et l’activité des parents sur le marché du travail sont considérées en priorité. Le revenu des parents est aussi utilisé pour certains programmes comme l’aide alimentaire.
Il faudrait tenir compte de la maîtrise (ou non) du français par les élèves et leurs parents, ainsi que de la reconnaissance des diplômes des nouveaux arrivants, estime le milieu de l’éducation. Ces facteurs ont un effet déterminant sur la possibilité de réussite des élèves, surtout avec l’arrivée massive de réfugiés à Montréal.
Les enseignants risquent aussi de subir les effets des coupes budgétaires dans les écoles nouvellement « favorisées », fait valoir Catherine Renaud, présidente de l’Alliance des professeures et des professeurs de Montréal. Le nombre d’élèves par classe augmentera — c’est prévu dans les conventions collectives — et les services professionnels diminueront au moment où les enseignants sont déjà épuisés, souligne-t-elle.
La solution, pour bien des intervenants: instaurer le seuil de services professionnels garantis que le nouveau ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, avait promis en campagne électorale. Le ministre dit prendre acte des attentes du milieu.