Le Devoir

Tirer sur le messager du Pacte. La chronique d’Odile Tremblay.

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La pluie de commentair­es acerbes au sujet du Pacte écologique pour la transition, mis en oeuvre par le metteur en scène Dominic Champagne, reflète un malaise. Tant d’attaques personnell­es à tort ou à raison contre les artistes et les autres signataire­s du contrat déterminés à réduire leur empreinte écologique laissent songeur…

Champagne se fait reprocher de se prendre pour un prophète et d’attaquer les voix qui ne vont pas dans le sens de sa cause (là-dessus, il devrait se calmer). L’homme de théâtre a débarqué en fin de semaine comme une tonne de briques à l’émission radio La soirée est encore jeune en cassant le party. Et comment Guy Laliberté, fondateur du Cirque du Soleil richissime, avec son île privée, ses subvention­s indues, ses propriétés en or, son tourisme de l’espace, ose-t-il donner des leçons d’écologie ? se demandent les uns et les autres.

Ces vedettes vertes sont pleines de défauts, c’est entendu… Alors, à quoi bon les suivre dans leur combat ? D’ailleurs, pourquoi, un coup parti, changer d’un iota son train de vie quand le voisin de chalet au gros 4X4 et aux barbecues fumant tout l’été nous envoie sa boucane dans le nez ? Comment notre petite goutte d’eau pourrait-elle éteindre des incendies en Californie ?

Et pourquoi se serrer la ceinture chez soi quand la Chine, suffoquant sous le smog, refuse de revenir au temps des vélos et des cyclopouss­es, quand Trump protège les intérêts des multinatio­nales, quand le tiersmonde croule sous les déchets jamais ramassés, quand l’Indonésie détruit ses jungles avec leurs habitants à poil et à plume, quand Trudeau défend son pipeline Trans Mountain ?

Sauf que, si on reproche aux riches, aux « casseux de party », aux prophètes mal embouchés, aux vedettes peinturlur­ées, aux pays mal culottés, de secouer leurs puces pour améliorer un tant soit peu le sort de la planète, celle-ci se vengera encore plus vite. En attaquant avec zèle ces imparfaits, ces gras du bide, ces donneurs de leçons qui amorcent un geste de bonne volonté, on se dédouane, balayant la mauvaise conscience sous le tapis, cognant sur le messager de l’Apocalypse quand on a tous une sale gueule et de la suie sur les mains.

Si seuls les plus blancs que blanc peuvent s’engager, il n’y aura pas grand monde à bord du train. S’il faut attendre que le voisin se déleste pour en faire autant, le désastre va s’accentuer.

De fait, signer le Pacte ou pas importe peu. Ce qui compte, c’est la prise de conscience et les résolution­s à tenir devant son miroir d’abord, ce juge de bien mauvaise foi.

Pourtant, on a saisi que la planète fonce dans le mur. On a entendu les cris des scientifiq­ues, regardé des documentai­res et des reportages, lu des articles, au mieux quelques livres, voyagé et vu le pire, mais à force d’entendre que le bonheur se confond avec les propriétés à pignons, les grosses bagnoles, le yacht au lac, les tondeuses à gazon, les écrans de fumée, chacun y a cru. Sacrifier ceci et cela qui touchent à mon bien-être ? Non, non, non !

Alors, on dit que ceux qui s’y frottent sont des crapules, des empêcheurs de tourner en rond ou des illuminés, qu’il est trop tard de toute façon pour améliorer le sort du monde. On crie : « Nettoyez ailleurs, mais pas dans ma cour ! »

On veut le beurre et l’argent du beurre à minuit moins une. C’est comme cette histoire d’Amazon, principal commandita­ire du Prix des collégiens au Québec et en place pour de bon. Bien ! Il fallait financer cette vitrine littéraire, qui aide la relève des écrivains à s’imposer en créant de nouvelles génération­s de lecteurs. De là à accueillir Amazon, plateforme étrangère flottant au-dessus des lois, terreur des librairies et des éditeurs dans sa petite cour…

Le milieu littéraire, mal à l’aise, a protesté, et voici le Prix des collégiens suspendu jusqu’à nouvel ordre, après que ses bonzes eurent vainement cherché des sous dans ce secteur désargenté.

Au fond, les dirigeants du Prix des collégiens se sont retrouvés dans la même posture que les festivals de films face à Netflix. Sans le géant vorace, ils perdent du terrain. Avec lui, ils affaibliss­ent le circuit des salles. Et allez tenir tête au vent qui souffle… Pénalisés de toutes les façons.

Les folles mutations du monde entrent en conflit avec nos anciennes structures, nos us et coutumes, dans le milieu culturel comme dans chaque foyer. Nous voici en plein brouillard, sautillant sur un pied, cherchant à retenir nos acquis, mais happés par le futur. Peut-être devrait-on admettre d’abord notre propre confusion, avant de charger les autres. Les nouvelles plateforme­s font partie de nos vies. La destructio­n éventuelle du monde est entre nos mains. Et que proposons-nous au juste pour la suite des choses ? Oui, vous. Oui, moi.

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