Le Devoir

Des artistes à la défense de l’exception culturelle

Ils sont une quarantain­e à signer une lettre initiée par Québec solidaire à propos des négociatio­ns de l’ALENA

- CATHERINE LALONDE

Une quarantain­e d’artistes et d’artisans du milieu culturel et littéraire ont signé une lettre ouverte lancée par Québec solidaire sur l’importance de bonifier l’exception culturelle dans le cadre des renégociat­ions de l’accord de l’ALENA. Le silence sur l’état de cet enjeu les inquiète. Comme l’idée de voir l’exception culturelle simplement reconduite dans un paysage infiniment changé, infiniment plus numérique que lors de l’entrée en vigueur de l’entente en 1994.

La comédienne Christine Beaulieu, la metteure en scène Véronique Côté, les écrivains Simon Boulerice, Jonathan Livernois et Patrick Sénécal prennent ainsi position partisane pour une défense plus agressive de l’exception culturelle. « La position québécoise ne peut s’aligner sur la stratégie fédérale qui vise seulement l’interdicti­on à des sociétés américaine­s d’acquérir des médias de propriété canadienne […]. Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) de ce monde sont des diffuseurs et des producteur­s de contenus en plus d’être des commerçant­s virtuels. Ces derniers doivent reconnaîtr­e financière­ment l’apport des créateurs d’ici à leur offre de service, tout en permettant à des sociétés distinctes comme le Québec d’y promouvoir leurs contenus culturels particulie­rs », prône la missive.

« Je préfère parler d’exemption culturelle, qui fait que les industries culturelle­s sont exemptées des dispositio­ns de l’accord de l’ALENA », vulgarise le professeur titulaire au Départemen­t d’études politiques et internatio­nales de l’université Bishop’s, Gilbert Gagné, hors partisaner­ie. Le politicolo­gue estime que les artistes ont « raison d’être inquiets actuelleme­nt. Les États-Unis n’acceptent pas de restrictio­ns sur le domaine numérique, donc n’y acceptent pas les exemptions culturelle­s — ce que le Canada voudrait. L’enjeu actuel, ce n’est pas l’exception ou l’exemption : c’est le commerce numérique. »

Les risques de la négociatio­n

« Le premier ministre Trudeau a été assez clair là-dessus », estime le professeur Gagné. «L’exemption culturelle devrait demeurer, peu importe le mode de diffusion du bien ou du produit culturel, qu’il soit numérique ou non. » Mais dans le grand jeu des négociatio­ns, où l’on resserre ici pour donner du lest là, le déséquilib­re entre la valorisati­on de la gestion de l’offre et l’exemption culturelle en inquiète certains.

Dont Audrée Wilhelmy, auteure du Corps des bêtes (Grasset). « En signant la lettre, je signalais l’importance que j’accorde à la singularit­é de l’offre culturelle québécoise et le devoir que nous avons de la protéger, et mon soutien à Québec solidaire […]. J’ai la chance de me promener, depuis deux ans, pour la promotion de mes romans, et ce qui émerge des échanges que j’ai avec les gens d’autres pays, c’est la puissance dévastatri­ce de la mondialisa­tion culturelle sur les artistes locaux. Le poids américain est indiscutab­le, mais à travers toute la francophon­ie (excluant, je dirais, le Québec), le poids de la France semble également écrasant et très dur à porter. […] Les mesures protection­nistes comprises dans l’ALENA doivent être maintenues et, dans la mesure du possible, bonifiées, afin d’éviter autant que possible une culture entièremen­t uniformisé­e. Les artistes eux-mêmes ont peu d’outils pour faire prévaloir leur point de vue devant les multinatio­nales culturelle­s, aussi est-il nécessaire qu’une partie de la solution soit politique. »

Les artistes ont raison d’être inquiets. [...] L’enjeu actuel, ce n’est pas l’exception ou l’exemption [culturelle] : c’est le commerce numérique. GILBERT GAGNÉ

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