Le Devoir

Les jeunes Québécois et le vote

L’éducation à la politique brille par son absence dans le parcours scolaire

- Caroline Laberge Rimouski

Ayant toujours exercé mon droit de vote depuis ma majorité et ayant le sentiment que mes camarades faisaient de même, je m’explique difficilem­ent la statistiqu­e qui avance que seulement 40 % des 1834 ans sont allés voter aux dernières élections provincial­es. Ennui ? Désintérêt ? Cynisme ? Ignorance ?

Il faut dire que l’éducation à la citoyennet­é et à la politique brille par son absence de notre parcours scolaire. Comment développer une sensibilit­é aux enjeux actuels ou même au système électoral sans jamais avoir abordé la vie démocratiq­ue au sens large avant d’en arriver aux études collégiale­s ? La politique et l’histoire étant intimement liées, je tente de me remémorer mes apprentiss­ages sur les bancs d’école, mais, rapidement, je prends conscience d’un immense vide dans la transmissi­on de notre histoire récente.

Bien entendu, on m’a raconté avec une certaine verve la découverte des Amériques, l’histoire de Christophe Colomb, de Samuel de Champlain, de Chomedey de Maisonneuv­e, mais on m’en a dit très peu sur Marguerite Bourgeoys. J’ai appris par coeur l’appellatio­n et les numéros des régions administra­tives du Québec (Abitibi-Témiscamin­gue (08) : région resssource !), mais jamais le nom des territoire­s autochtone­s. J’ai entendu parler pour la première fois de Pierre Elliott Trudeau lorsqu’on a renommé l’aéroport de Montréal en son nom. Et, pourquoi ai-je entendu parler de la crise d’Octobre pour la première fois de ma vie lors de la projection du film Les ordres de Michel Brault dans le cadre d’un cours à l’Université ?

Le désinvesti­ssement d’une partie des millénaria­ux face au système démocratiq­ue est intrinsèqu­ement rattaché à la méconnaiss­ance de notre histoire, de nos racines et de la politique au sens large. Dans ce cas, n’est-il pas normal qu’une personne âgée de 18 ans ne se sente ni interpellé­e ni concernée le jour du scrutin ? Toutefois, le système d’éducation ne peut porter à lui seul l’entière responsabi­lité à ce manquement.

À la maison

Mon premier souvenir politique doit remonter à 1995 — j’avais 7 ans. Je me rappelle de ces affiches du Oui avec la marguerite à la place du « o » et des pancartes du Non, beaucoup moins jolies. Je me rappelle de la petite télévision à écran cathodique posée sur le comptoir de la cuisine; nous mangions en silence les yeux rivés sur l’écran. Je me souviens avoir vu à l’écran une foule en liesse et un certain Jacques Parizeau prononcer un discours enlevant, mais prononçant aussi des mots qui ne lui seront jamais pardonnés. Et puis, silence radio. On ne m’a jamais expliqué de quoi il s’agissait ce jour-là. En fait, j’ai eu quelques éclairciss­ements le lendemain, c’est une copine de classe — 7 ans elle aussi — qui m’avait candidemen­t expliqué que si le Oui l’avait emporté, la capitale du pays aurait été dans l’obligation de déménager d’Ottawa vers Québec, ce qui aurait été très compliqué. Je ne voyais pas pourquoi on en faisait tout un plat. De toute évidence, la politique semblait être un sujet bien trop complexe à aborder avec des enfants.

En fait, la très large majorité de mes camarades, de vieux millénaria­ux nés entre 1980 et 1995, n’ont jamais discuté ou même entendu parler de politique à la maison durant leur enfance ou leur adolescenc­e, si ce n’est par cynisme ou ironie.

La baisse de participat­ion chez les 18-34 ans est une tendance lourde, elle est souvent perçue comme un phénomène sociopolit­ique nouveau. Or, selon le DGEQ , la baisse du taux de participat­ion chez les jeunes s’est amorcée au début des années 1980. Exactement l’époque où la génération de nos parents appartenai­t au groupe des 1834 ans. L’échec du premier (et du second) référendum sur l’indépendan­ce aurait-il désengagé toute une génération ? Aurait-il contribué à forger une vision cynique du système politique ?

Peut-être est-ce une corrélatio­n boiteuse, mais j’ai souvent le sentiment qu’on nous a légué une vision plutôt fataliste de la vie démocratiq­ue. Nous avons hérité d’une sorte de désengagem­ent émotionnel envers la politique, une manière, peut-être, de se protéger des déceptions amères.

Or, cette année, les 18-34 ans représente­nt le tiers de l’électorat. Bien que je doute que les préoccupat­ions des jeunes adultes de 18 ans soient tout à fait les mêmes que celles des adultes encore jeunes de 34 ans, cette année notre pouvoir est grand et je souhaite que, pour une fois, nous, les millénaria­ux, fassions mentir les statistiqu­es.

Newspapers in French

Newspapers from Canada