Le Devoir

Arts visuels

Deux maisons de la culture célèbrent sans raison particuliè­re une collection d’art universita­ire

- JÉRÔME DELGADO LE DEVOIR

Il y a des projets qui sortent parfois de nulle part. Sans raison, sans l’excuse d’un cinquantiè­me ou d’un quelconque anniversai­re. Aucune nouvelle ère à signaler, pas de nouvel aménagemen­t, pas de nomination, rien. Et c’est tant mieux.

L’exposition Encrées dans l’histoire. Une sélection d’estampes de la Collection d’oeuvres d’art de l’Université de Montréal s’inscrit dans ce type de projets. Une exposition historique qui ne célèbre rien sinon l’existence de cette collection. Pourquoi ça, maintenant et surtout là, en dehors des murs de l’établissem­ent concerné? Parce que.

Avec les oeuvres de 18 artistes, l’expo embrasse large, notamment parce qu’elle inclut différente­s techniques de l’estampe, ainsi que plusieurs courants et époques. Elle se déroule dans deux maisons de la culture, celle de Côte-des-Neiges et celle de Notre-Dame-de-Grâce. Sans fla-fla, comme s’il allait de soi qu’entre voisins, on se mette ensemble.

Ce côté événementi­el ne nourrit pas d’ambition plus grande que celle de montrer la diversité de la discipline. Or, en cette matière, la (déjà) lointaine Ces artistes qui impriment (2010) le faisait fort bien. La richesse de cette collection universita­ire, elle, vient faire l’objet d’une manifestat­ion au Centre d’exposition de l’Université de Montréal sous le titre L’idée du territoire. Celle-ci se terminait le 10 août. La coïncidenc­e aurait mérité d’être soulignée, mais aucun des diffuseurs ne l’aura fait.

Sans raison ni véritable envergure, Encrées dans l’histoire ne manque pourtant pas d’intérêt. Si l’éloignemen­t des deux maisons de la culture impose qu’il soit difficile de relier un ensemble à l’autre, il permet, en contrepart­ie, de les voir comme deux petites expos autonomes. Chacune ses forces et ses faiblesses.

Dans Côte-des-Neiges, la cohésion est difficile à trouver, outre les natures pop et op qui se dégagent de deux des murs. De la grille chromatiqu­e d’une oeuvre de Serge Tousignant aux pliages-collages de Cozic, l’enfilade passe aussi par le clin d’oeil politique de Pierre Ayot ou par les blocs mouvants et superposés chez Louis Comtois.

Parmi eux, la surprise et le meilleur tir groupé, vu le nombre de sérigraphi­es retenues (7), sont à mettre au compte de Michel Leclair, un artiste un peu oublié. Cette série des années 1970, qui annonce son travail ultérieur de photograph­e urbain, allie le thème mercantile (vitrines de magasin, objets de consommati­on) à la fragmentat­ion de l’image.

L’intimité

Dans Notre-Dame-de-Grâce, la disparité est davantage perceptibl­e au premier regard, notamment par l’étendue dans le temps qu’elle aborde. On passe des encres à l’eau-forte de Marc-Aurèle Fortin (des vues du port de Montréal des années 1940) à celles de Peter Krausz, dont le troublant Portrait de l’artiste à 87 ans (2006), l’oeuvre la plus récente de tout le lot.

Dans un deuxième parcours, le regroupeme­nt dans cette maison de la culture s’avère pourtant un peu plus cohérent. L’attention au corps humain, qu’il soit social (comme chez Fortin), culturel ou physique, fait ressortir le thème de l’intimité. Les motifs de la maison, ou d’un espace privé, comme les magnifique­s « coins d’atelier» de Serge Tousignant, y ont leur raison d’être. Avec Roland Giguère, l’abstractio­n et les mots ouvrent vers un doux érotisme.

Le corps devient aussi paysage, à la manière de Krausz, de qui Portrait de T. K. (1999), immense tête presque montagne, frappe d’emblée. À cette époque où citer, s’approprier et mélanger des cultures devient un terrain glissant, reconnaiss­ons à René Derouin, ce graveur qui jette des ponts jusqu’au Mexique depuis 60 ans, l’honneur de le faire en tout respect.

Ceux qui prendront la peine de lire les cartels des oeuvres auront finalement accès à un autre aspect de cette exposition en deux lieux. La collection de l’Université de Montréal, comme n’importe quelle collection de nature publique, se construit au hasard des us et des époques. Le «Fonds du Cinquanten­aire» ou une «Campagne de souscripti­on» par ici, un rare achat par là, et de nombreux dons individuel­s ailleurs. L’exposition Encrée dans l’histoire salue indirectem­ent tous les Jules Laporte, Charles Théroux, Daniel Fleurant de ce monde — pour ne nommer que les plus cités.

Encrées dans l’histoire

Une sélection d’estampes de la Collection d’oeuvres d’art de l’Université de Montréal

À la Maison de la culture Notre-Damede-Grâce, jusqu’au 18 août.

À la Maison de la culture Côte-des-Neiges, jusqu’au 16 septembre.

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 ??  ?? En haut : René Derouin, Edvard Munch et les échographi­es du Saint-Laurent 1898-1967-1984-2004, 2004. Au centre : Michel Leclair, S’amuser coin Mt-Royal et Coloniale, 1997. En bas : Roland Giguère, Si vous rêvez…, 1974
En haut : René Derouin, Edvard Munch et les échographi­es du Saint-Laurent 1898-1967-1984-2004, 2004. Au centre : Michel Leclair, S’amuser coin Mt-Royal et Coloniale, 1997. En bas : Roland Giguère, Si vous rêvez…, 1974

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