« On n’apprend rien du passé »
La règle du plus bas soumissionnaire inquiète les architectes et ingénieurs
La règle du plus bas soumissionnaire, qui pourrait être appliquée par Québec dans l’octroi de contrats immobiliers et routiers, inquiète des architectes et ingénieurs, qui estiment que le gouvernement n’a rien retenu de la commission Charbonneau.
« La commission a été claire : il faut s’éloigner des formes de sélection basée uniquement sur le prix. On n’apprend rien du passé, on ne tire aucune leçon », déplore André Rainville, président-directeur général de l’Association des firmes de génie-conseil du Québec (AFG).
Le 27 juin, le gouvernement Couillard a proposé un projet de réglementation qui modifierait la Loi sur les contrats des organismes publics. Répondant à une recommandation de la commission Charbonneau, il veut diversifier les moyens de sélection des firmes d’architecture et d’ingénieurs, actuellement choisies selon leurs compétences.
Québec permettrait ainsi à son ministère des Transports et à la Société des infrastructures du Québec de recourir à la règle du plus bas soumissionnaire.
Les professionnels concernés avaient jusqu’à samedi pour faire leurs commentaires. Le nouveau règlement devra être adopté lors d’une séance du Conseil des ministres.
Mais l’AFG, l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ) et d’autres acteurs du milieu estiment que confier la conception de projets aux entreprises les moins chères pourrait compromettre la qualité des infrastructures et la sécurité des citoyens, tout en ouvrant la porte à la collusion.
Si le gouvernement pense faire des économies en prenant un professionnel moins cher, il prend le risque de laisser les générations futures en payer le prix, croit la directrice générale de l’AAPPQ, Lyne Parent.
« L’étape de conception est déterminante pour la durabilité et la qualité du projet. Si c’est mal pensé, il va falloir plus d’entretien, et ça coûte cher, ditelle. On ne veut pas juste faire du beau, on veut que ça soit fonctionnel, durable et que ça s’adapte aux changements climatiques ». Mais des moyens financiers et du temps sont nécessaires pour innover.
Le ministre responsable du dossier, Robert Poëti, juge les inquiétudes du milieu « non fondées » et assure que la sélection sur la base du plus bas soumissionnaire ne sera pas appliquée de façon systématique, mais plutôt « dans des cas d’exception ».
Collusion
« Pourquoi prendre cette méthode dénoncée durant la commission Charbonneau? C’est un non-sens», s’offusque la présidente de l’Ordre des architectes du Québec, Nathalie Dion.
La commission d’enquête a démontré que certaines entreprises les plus malintentionnées dans le milieu de la construction — où la règle du plus bas soumissionnaire est appliquée — n’hésitent pas à jouer avec les processus d’appel d’offres pour «se mettre de l’argent dans les poches ».
« La vraie question, c’est pourquoi donner l’option du plus bas soumissionnaire à ces deux organismes qui ont l’expertise et le personnel nécessaires pour évaluer les dossiers des entreprises », estime le directeur général de l’Institut sur la gouvernance, Michel Nadeau, pour qui le gouvernement envoie un message confus en laissant la porte entrouverte à la collusion.
Pour le président de Transparency International Canada, Paul Lalonde, aussi membre du Comité public de suivi des recommandations de la commission Charbonneau, il n’y a «rien d’anormal » à ce que le prix soit un critère prioritaire pour les projets standards ne nécessitant aucune technique poussée ou innovante.
« Je ne crois pas que le remplacement d’un système de lumière sur une autoroute ou la réparation des nids de poule nécessitent qu’on choisisse la firme la plus expérimentée », dit-il, soulignant que l’entreprise qui offre le plus bas prix n’est pas pour autant « incompétente ».