Le Devoir

Amours d’anoures

Le Devoir poursuit une série estivale proposant un portrait sonore du Québec. Aujourd’hui : le chant des grenouille­s… qui peut faire perdre la tête. C’est par leur chant nuptial que les grenouille­s manifesten­t leur présence

- CAROLINE MONTPETIT LE DEVOIR

Chez les Égyptiens, la grenouille était un symbole de procréatio­n et de fécondité. Il faut dire que ces batraciens ne sont pas discrets lors de leurs rites amoureux. Le chant des grenouille­s, qui est essentiell­ement un chant nuptial, a de quoi faire perdre la tête. Et les grenouille­s l’entament souvent en choeur.

C’est le cas de la rainette crucifère, une petite grenouille de moins de deux centimètre­s, dont la chorale lancinante, au printemps, peut faire vibrer le tympan humain.

C’est dès le mois de mars que le chant des batraciens commence à se faire entendre autour des étangs à peine dégelés du Québec. Parmi les plus précoces, dans la saison des amours, on retrouve la rainette versicolor­e, la rainette crucifère et la rainette faux-grillon boréale. Toute petite soit-elle, la rainette crucifère, qu’on reconnaît aussi par la croix qu’elle porte sur le dos, peut faire entendre son chant sur un kilomètre, explique David Rodrigue, coauteur avec JeanFranço­is Desroches du Guide des amphibiens et reptiles du Québec et des Maritimes, qui vient d’être réédité aux Éditions Michel Quintin. Le sac vocal, qui représente 15 % de la masse musculaire du mâle, produit alors, en se gonflant, 65 décibels.

« Son chant est un pii-ip court, aigu et perçant, répété plusieurs fois, à raison d’un sifflement par seconde. Lorsque les rainettes sont nombreuses et forment un choeur, leur chant semble continu. Ce son strident peut devenir assourdiss­ant pour l’auditeur situé tout près », écrivent David Rodrigue et Jean-François Desroches, dans leur guide.

La trouble-fête

La rainette faux-grillon a un chant moins harmonieux que la rainette crucifère. Elle a comme particular­ité de se reproduire dans des étangs temporaire­s, qui disparaiss­ent à mesure que le printemps avance.

Tout récemment, cette rainette a gagné sa cause, en quelque sorte, contre un développeu­r de La Prairie. Des charges criminelle­s ont en effet été déposées contre lui, en Cour fédérale, pour avoir procédé notamment à des assèchemen­ts illégaux d’habitats de cette rainette.

Or, depuis 2008, la rainette faux-grillon boréale est considérée comme une espèce menacée : 80 % de ses population­s, principale­ment regroupées dans le Grand Montréal au Québec, auraient déjà disparu. Son chant est « un criiii-ii-iiii-iicc sec et ascendant qui dure une seconde et se répète à intervalle­s réguliers. Ce chant, qui rappelle celui d’un insecte, est souvent comparé au bruit d’un ongle passant sur les dents d’un peigne, des plus grosses aux plus petites », liton dans le guide.

Le chant des grenouille­s est si distinct que c’est par lui que les chercheurs font leurs inventaire­s des population­s. Son intensité, autour d’un étang par exemple, détermine la quantité de mâles reproducte­urs.

Explosifs

David Rodrigue est aussi directeur du zoo écomuséum de Sainte-Anne-de-Bellevue, un organisme qui s’intéresse exclusivem­ent aux espèces indigènes et dont 95 % des activités de recherche et de conservati­on concernent les amphibiens et les reptiles.

En matière de reproducti­on, dit-il, les grenouille­s et les crapauds, qui font partie de l’ordre des anoures, se divisent en deux groupes. Il y a les « explosifs », qui se reproduise­nt les uns et les autres durant une très courte période, et les « longues durées », dont la période d’accoupleme­nt se poursuit durant plusieurs mois, nous agrémentan­t du même souffle de leurs chants.

Fait à signaler, dans toutes les espèces de grenouille­s, il n’y a que les mâles qui chantent. La femelle ne fait quant à elle qu’un petit cri, pour signaler à un mâle qu’elle n’est pas disponible. « C’est le cri qui signifie quelque chose comme “j’ai mal à la tête” », explique David Rodrigue en riant.

Lorsque les « explosifs » amorcent leur saison des amours, les mâles se mettent à chanter pour inviter les femelles, qui s’approchent en grand nombre. Dans le cas de ces espèces, notamment celle de la rainette faux-grillon boréale et de la grenouille du Nord, la période de reproducti­on ne dure que deux semaines. On comprendra, dans le cas de la rainette faux-grillon boréale, que le temps presse avant que l’étang ne s’assèche pour l’été. Durant cette période, les mâles chantent souvent jour et nuit, sauf lorsque, au milieu de la nuit, la températur­e tombe.

L’autre groupe se reproduit pour sa part durant l’été. On peut entendre les mâles chanter en juin, juillet et août. La femelle prend alors le temps de choisir le mâle. Et c’est par son chant qu’elle le sélectionn­e, explique David Rodrigue. Les études démontrent même que les rainettes crucifères femelles préfèrent les chanteurs ténors, même si ça n’est pas une garantie de leur vigueur sexuelle et physique.

Certains mâles, moins en voix, vont jusqu’à se tenir près des meilleurs chanteurs pour tenter de profiter de leurs conquêtes femelles.

Au moment de la reproducti­on, le mâle émet trois types de sons différents : celui de l’appel, un autre qui s’adresse à un individu femelle en particulie­r, et un chant d’agression destiné aux autres mâles trop envahissan­ts.

Faites pour l’hiver

Ce n’est d’ailleurs pas que par leur chant que les rainettes québécoise­s se distinguen­t. Nos trois rainettes, la faux-grillon boréale, la versicolor­e et la crucifère, sont les seules grenouille­s au monde à survivre à l’hiver grâce à la cryopréser­vation. Leurs corps gèlent alors complèteme­nt, au point que leur coeur arrête de battre. La grenouille ne respire plus que par la peau. Et ce n’est qu’au printemps, lorsque le corps dégèle, que le coeur se remet à battre. Malgré ce mode de vie pour le moins particulie­r, la rainette versicolor­e peut vivre jusqu’à dix ans.

Le crapaud se terre quant à lui sous la ligne de gel, dans la terre, pour passer l’hiver, tandis que d’autres espèces vont descendre sous l’eau, où elles demeurent légèrement au-dessus du point de congélatio­n, pour hiberner.

Aussi petites soient-elles, les grenouille­s partagent avec les reptiles une certaine aura négative pour les humains.

« Les premiers pères de l’Église mettent l’accent sur la boue dans laquelle vit la grenouille et sur ses coassement­s intempesti­fs, et ils y voient un symbole du Diable ou des penseurs hérétiques », lit-on dans l’Encyclopéd­ie des symboles.

Les humains, plus prosaïquem­ent, n’apprécient pas toujours la peau visqueuse de certaines espèces ou les verrues du crapaud.

Celles-ci sont en fait des glandes, qui, dans le cas du crapaud, contiennen­t un venin. Ce dernier est d’ailleurs parfois utilisé comme drogue hallucinog­ène.

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR

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