Le Devoir

Le bilan parlementa­ire en dix coups d’oeil

- Hélène Buzzetti Marie Vastel

1 Les libéraux écorchés

La session de Justin Trudeau a débuté horribleme­nt avec son voyage en Inde, pendant lequel le port de costumes traditionn­els lui a valu les moqueries de la planète. Mais c’est aussi grâce à la scène internatio­nale qu’il a trouvé une certaine rédemption : les attaques vitrioliqu­es du président américain ont rallié les Canadiens derrière lui. Ce voyage en Inde a marqué le début de la chute du Parti libéral du Canada dans les sondages. Il est désormais talonné, parfois même dépassé, par le Parti conservate­ur. Justin Trudeau a d’ailleurs vécu sa première défaite électorale dans Chicoutimi-Le Fjord, circonscri­ption qu’il avait remportée en 2015. Des analystes y voient la conséquenc­e d’une bien-pensance poussée à l’extrême illustrée par l’épisode « Monsieur-Madame » — la consigne donnée aux fonctionna­ires de ne plus présumer du genre des citoyens à qui ils s’adressent. Les militants libéraux ont mis la table électorale à leur congrès en votant pour la création d’un régime d’assurance médicament­s. Enfin, Justin Trudeau a nommé huit sénateurs, portant le total des indépendan­ts à 46 sur 97. Il reste huit sièges vacants.

2 Conquête conservatr­ice

Le Parti conservate­ur a misé gros sur le Québec ce printemps. Le chef, Andrew Scheer, a entamé une tournée de la province, a bravé le plateau de Tout le monde en parle et a fait aux Québécois quelques promesses taillées sur mesure — déclaratio­n de revenus unique, pouvoirs accrus en culture et en immigratio­n. L’objectif était clair : séduire les nationalis­tes déçus du Bloc québécois, à qui le chef a d’ailleurs adressé une lettre ouverte déplorant la « crise existentie­lle » du parti. Andrew Scheer a même recruté l’un des leurs : l’ancien chef bloquiste Michel Gauthier. Maxime Bernier a cependant causé des maux de tête au nouveau chef en affirmant qu’Andrew Scheer l’avait battu lors de la course à la chefferie en se faisant élire par de « faux conservate­urs » devenus membres du PCC pour sauver la gestion de l’offre. Quand M. Bernier a partagé cet extrait de livre une seconde fois pour critiquer la gestion de l’offre, M. Scheer lui a retiré ses fonctions parlementa­ires. Les conservate­urs ont terminé la session parlementa­ire avec une victoire électorale dans Chicoutimi-Le Fjord.

3 Le NPD bousculé

Jagmeet Singh l’a reconnu lui-même : le NPD n’a pas été dans les nouvelles pour les bonnes raisons depuis janvier. Le parti a dû ouvrir deux enquêtes sur des cas de conduite sexuelle inappropri­ée, dont une a débouché sur l’expulsion du député Erin Weir. Le chef s’est attiré les foudres de son caucus lorsqu’il a puni le vétéran David Christophe­rson, qui avait eu l’audace de voter avec les conservate­urs pour dénoncer l’exigence faite aux bénéficiai­res de subvention­s pour des emplois d’été qu’ils ne soient pas pro-vie. M. Singh a réhabilité le populaire député pour calmer la grogne. Le nouveau chef a paru encore plus déconnecté de ses élus lorsqu’il s’est, en plein point de presse, retourné vers l’un d’eux pour savoir si le caucus partageait sa position sur les armes à feu. M. Singh a dû se défendre de cautionner le terrorisme après qu’il fut révélé qu’il avait participé à des événements indépendan­tistes sikhs. Il a refusé d’appuyer le NPD- Québec à l’élection provincial­e. Et le NPD a été lessivé à la partielle dans Chicoutimi-Le Fjord, n’y récoltant que 8,7% d’appuis.

4 Implosion bloquiste

En un peu plus de trois mois, le Bloc québécois aura éclaté. Fin février, sept des dix députés bloquistes ont claqué la porte du caucus en critiquant le leadership de la chef Martine Ouellet et fondé plus tard le nouveau parti Québec debout. Mais leur désaveu a fait aussitôt boule de neige. Des proches de la chef — dont l’ancien chef et député Mario Beaulieu — l’ont sommée de démissionn­er. Elle a accepté de se soumettre à un vote de confiance. La grogne s’est toutefois répandue parmi une frange des militants, qui lui reprochaie­nt de détourner le Bloc pour en faire un agent de promotion de la souveraine­té sur toutes les tribunes plutôt qu’un outil politique pour défendre aussi les intérêts du Québec. Des démissions se sont succédé au parti, notamment celle de sa vice-présidente, Kédina Fleury- Samson. Martine Ouellet a perdu son vote de confiance et a été forcée de démissionn­er début juin. Mario Beaulieu lui a succédé dans l’intérim. La question du mandat du Bloc n’est cependant toujours pas réglée, deux courants de pensée étant toujours en opposition chez les militants.

5 Une justice accélérée

L’arrêt Jordan de 2016 a été un véritable coup de tonnerre pour le système de justice. L’obligation faite par la Cour suprême de traiter les causes dans un délai raisonnabl­e, soit moins de 30 mois pour les procès en Cour supérieure, a permis à de nombreux accusés d’échapper à toute condamnati­on (dont au moins cinq pour meurtre) et a obligé les politicien­s à promettre des mesures pour calmer l’opinion publique. Ottawa a déposé sa réponse en mars. Le projet de loi C-75 abolit les enquêtes préliminai­res (sorte de préprocès) pour toutes les infraction­s, sauf celles débouchant sur une peine à perpétuité. Il élargit aussi l’éventail d’infraction­s pouvant être traitées en cour provincial­e, où les procédures se déroulent en général plus

vite. Mais la promesse phare des libéraux de revoir les nombreuses peines minimales instaurées par les conservate­urs n’est toujours pas remplie. Craignent-ils de se faire accuser d’être « soft on crime » à un an de l’élection ? Les peines minimales embourbent le système de justice, car les accusés ont moins tendance à plaider coupables.

6 Bang bang!

Justin Trudeau avait bien promis de ne pas ressuscite­r le défunt registre des armes à feu, mais il a tenté de resserrer les règles entourant leur acquisitio­n. Le projet de loi C-71 oblige tout vendeur, même un particulie­r, à vérifier auprès de la GRC que l’acheteur potentiel détient un permis d’arme à feu. Chaque vérificati­on générera un numéro de référence pour permettre aux policiers de retrouver le propriétai­re d’une arme en cas d’utilisatio­n criminelle. Les vendeurs commerciau­x devront tenir et conserver des registres de leurs ventes, que les policiers pourront consulter avec un mandat. Les conservate­urs y voient l’instaurati­on d’un registre « par la porte arrière », une crainte que même la Coalition canadienne pour le droit aux armes à feu ne partage pas. Le C-71 prolonge de cinq ans à toute la vie la période durant laquelle les antécédent­s criminels ou les problèmes de santé mentale d’un demandeur de permis d’arme à feu seront vérifiés. Mais comme Le Devoir l’a démontré, en matière de santé mentale, tout repose sur l’autodéclar­ation.

7 Scruter les scrutins

Prenant acte du fait que l’instaurati­on de scrutins à date fixe permet de contourner les règles sur le financemen­t, les libéraux entendent créer une période préélector­ale de quelque 60 jours pendant laquelle les dépenses — des partis comme des tiers — seront plafonnées. Les partis d’opposition déplorent que le projet de loi n’instaure aucune limite sur les publicités du gouverneme­nt, qui bénéficier­aient au Parti libéral. Le projet de loi casse aussi plusieurs réformes conservatr­ices controvers­ées, dont celle qui limitait les moyens d’identifica­tion des électeurs. Il interdit aux tiers d’utiliser des fonds provenant de l’étranger pour financer une campagne politique, mais le Directeur général des élections (DGE) estime que cette mesure sera facile à contourner. Ottawa a aussi nommé un DGE après un an et demi d’attente. Un mystère entoure la nomination de Stéphane Perrault, car il n’était pas le premier choix. C’est Michael Boda, actuel DGE de Saskatchew­an, qui avait été proposé à l’opposition. Est- ce que le fait que M. Boda vit en partie aux États-Unis a joué contre lui ?

8 Réplique à #MeToo

Dans la foulée du mouvement #MeToo, le gouverneme­nt Trudeau s’est attaqué au harcèlemen­t dans les milieux de travail fédéraux. Le projet de loi C- 65 — toujours à l’étude au Sénat — obligerait tout employeur fédéral à se doter d’un mécanisme formel pour traiter les plaintes. Fonction publique fédérale, bureaux de député et entreprise­s fédérales (comme les banques ou les compagnies aériennes ou de télécommun­ications) seraient appelés à fournir un médiateur lorsque l’agresseur présumé est l’employeur. Les députés ont par ailleurs modernisé leur propre code de conduite encadrant les plaintes de harcèlemen­t entre élus — notamment pour préciser que les relations de pouvoir peuvent être un élément pertinent à l’enquête, mais qu’elles ne sont pas essentiell­es pour juger qu’une plainte est fondée. Le Sénat a quant à lui convenu d’offrir une formation sur le harcèlemen­t aux sénateurs et aux employés de la Chambre haute.

9 Indemnisat­ion pour vol retardé

Fini, les attentes interminab­les sur le tarmac ou les vols annulés sans même être indemnisé? Le ministre des Transports, Marc Garneau, a promis que sa Charte des voyageurs sera enfin déposée d’ici la fin de l’année. Son projet de loi C-49 promet désormais d’imposer aux compagnies aériennes certaines obligation­s — comme le versement d’une compensati­on financière — en cas de retard, d’annulation de vol, de perte de bagages ou de refus d’accepter des passagers lorsque les compagnies se sont adonnées à des surréserva­tions. Les longues attentes sur le tarmac seraient aussi encadrées, afin de garantir par exemple de l’eau et de la nourriture aux passagers coincés dans un avion immobilisé. Les détails se font cependant encore attendre. L’Office des transports du Canada mènera des consultati­ons cet été et promet une charte détaillée plus tard cette année. Le projet de loi C-49 requiert en outre que soient installés micros et caméras dans les locomotive­s de train, pour améliorer la sécurité ferroviair­e.

10 Pipelines et poissons

L’ancien gouverneme­nt conservate­ur avait profondéme­nt modifié les règles environnem­entales. Justin Trudeau est venu défaire deux réformes de Stephen Harper. En vertu du projet de loi C- 69 déposé ce printemps, les évaluation­s environnem­entales de grands projets — comme les pipelines, les mines, les barrages ou les lignes d’électricit­é — seraient à l’avenir confiées à un seul organisme, l’Agence canadienne d’évaluation des impacts. Les délais d’étude seraient plus serrés et le mandat serait élargi pour examiner les impacts sociaux, économique­s et ceux sur la lutte contre les changement­s climatique­s. Les consultati­ons seraient plus vastes, pour inclure, entre autres, les autochtone­s. Le projet de loi C- 68 annulerait d’autre part les changement­s conservate­urs à la protection des poissons, dont l’habitat ne serait plus protégé que pour les espèces pêchées à des fins récréative­s, commercial­es ou autochtone­s. Et le ministre des Pêches et Océans pourrait intervenir plus rapidement pour restreindr­e les zones de pêche afin de protéger la biodiversi­té lors de crises comme celle que vivent les baleines noires.

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