Le Devoir

Le français comme koinè

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Quatre souches linguistiq­ues européenne­s ont réussi avec des succès variés leur transplant­ation dans le Nouveau-Monde: l’espagnol et l’anglais, le portugais et le français. Les deux premières ont le mieux réussi sur le plan démographi­que avec des centaines de millions de locuteurs. Le portugais est maintenant huit fois plus parlé au Brésil qu’au Portugal. Le français a eu plus de chance d’expansion sur le continent africain. «Le français en Amérique du Nord c’est l’histoire d’un échec démographi­que, résume le professeur. Cette réalité a évidemment des répercussi­ons sur notre compréhens­ion de la norme dans la francophon­ie. La France fonctionne comme un centre tandis que l’Angleterre ne compte pas comme tel pour les Anglophone­s. »

Cela dit, le pattern de transfert reste comparable dans le quatuor, par exemple avec l’importance partagée du langage maritime puisque l’immigratio­n se faisait par la mer. On dit donc partout « embarquer » ou l’équivalent partout, pour tout et pour rien, par exemple pour marcher dans une combine.

Des expression­s locales en Europe ont aussi été généralisé­es de l’autre bord de l’Atlantique. Des traits de prononciat­ion de l’Andalou ont ainsi essaimé dans les Caraïbes puis sur tout le continent. La zone ouest de la France a joué le même rôle ici, par exemple quand les Québécois disent encore « jusqu’à temps que ».

Il y a cependant des variations d’une zone à l’autre. Chaque pays hispanopho­ne a sa « norma culta », sa langue normative et soignée. Les États-Unis et le Canada anglais sont plus unifiés de ce point de vue.

« Il y a plusieurs siècles, il y avait énormément de différence­s en Europe dans les langues extrêmemen­t dialectali­sées. Les standards se sont imposés peu à peu et ce qui a été exporté dans le Nouveau-Monde ce n’est pas le mélange de parlers villageois. Pour se comprendre, les colons sont vite passés à un langage commun, une koinè. »

L’alignement sur une norme est vrai en Nouvelle-Angleterre, en Nouvelle-Espagne et en NouvelleFr­ance. De sorte qu’au début du XXe siècle en France, il y avait encore beaucoup de patois assez éloignés du français standard alors que cette diversité n’a pas traversé l’Atlantique où on est plus vite passé à un modèle de langue commune. C’est vrai en anglais aussi.

« Un chercheur allemand a bien résumé le phénomène en disant au XIXe siècle qu’il n’y a nulle part aux États- Unis où on parle aussi bien qu’en Angleterre et qu’il n’y a nulle part aux États- Unis où on parle aussi mal qu’en Angleterre. Il voulait dire que dans le NouveauMon­de personne ne parle aussi bien qu’un aristocrat­e britanniqu­e, mais que toutes les variantes locales et périphériq­ues y ont vite été gommées. »

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