Le Devoir

Calquer le réel

La Maison de la culture Frontenac rapproche deux manières de représente­r un lieu

- JÉRÔME DELGADO COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Représente­r, reproduire et même mimer un lieu sur le principe de la répétition d’un geste, d’un motif, voilà un point commun aux deux exposition­s estivales de la Maison de la culture Frontenac. Julie Ouellet et Ianick Raymond ne suivent pourtant pas le même processus. Réunir sous le même toit ces deux artistes en fin de maîtrise aura cependant été une jolie idée.

Les deux transforme­nt la salle qui leur est réservée et font vaguement dans le genre paysage. De la première, l’expo Se contraindr­e à se perdre s’appuie sur une double forêt, celle du sujet traité et celle du matériau utilisé — d’immenses pellicules transparen­tes. Du second, le projet Peindre à nouveau, basé sur un rigoureux alignement de ce qui semble être des panneaux de bois, dessine un horizon tout en mouvement.

Julie Ouellet n’est pas peintre, mais dessinatri­ce. Pour Calquer une forêt une journée toutes les saisons, titre de la principale oeuvre exposée, elle a procédé à coups de feutre. «Calquer», c’est littéralem­ent ce qu’elle a fait, ainsi que le révèle la vidéo à découvrir dans le fond de la salle.

L’oeuvre a été réalisée dans une vieille grange éventrée, ouverte sur un boisé. La bâche translucid­e qui sert de page blanche a été posée devant ce paysage naturel et Julie Ouellet a alors tenté d’imprimer avec son feutre ce que la lumière lui permettait de voir.

En salle d’exposition, la superposit­ion des quatre bâches (une par saison) multiplie les effets de lisibilité et de non-lisibilité. Le sujet et sa silhouette formée de nombreuses lignes verticales demeurent cependant reconnaiss­ables.

Un deuxième corpus d’oeuvres sur papier, moins spectacula­ire et de petit format, insiste cependant sur le protocole de répétition et d’obsession à reproduire l’impossible. Ouellet procède comme jadis le peintre avec son chevalet, à la différence qu’elle laisse le temps, la fatigue, voire la lassitude, s’imprégner sur la surface.

Espace pictural

Avec son nombre important de tableaux verticaux posés au sol, l’installati­on 100 planches de Ianick Raymond est une oeuvre qui s’expériment­e de multiples façons. De loin pour apprécier le mouvement progressif de l’ensemble. De côté pour noter que cet alignement au mur suit une légère ondulation. De près pour constater la délicate dégradatio­n des tonalités entre les tableaux.

Ianick Raymond est peintre, actif depuis dix ans, mais l’exposition Peindre à nouveau est sans doute sa plus sculptural­e, ou du moins celle qui l’éloigne le plus de la peinture et de ses convention­s. Il n’y a ainsi, en apparence, aucun cadre cloué au mur.

Ce sont des objets qui composent 100 planches et, au premier regard, il s’agit d’une oeuvre qui occupe l’espace et le transforme. Mais ces « tableaux-planches », comme les nomme l’artiste, sont des peintures à l’acrylique, véritables trompe-l’oeil qui simulent les lattes d’un plancher en bois franc, ses dimensions, ses teintes, ses motifs.

Non figurative, la peinture de Raymond repose néanmoins sur une répétition de lignes susceptibl­e d’évoquer un univers précis. Elle confronte réalité matérielle et potentiel illusoire, abstractio­n et représenta­tion et, surtout cette fois, surface et volume.

OEuvre in situ, 100 planches non seulement reproduit des lattes du sol, «seul matériau du lieu qui n’est pas déjà peint», dit le communiqué de la Maison de la culture, il prend place dans l’interstice où plancher et mur se rencontren­t. Il remplace l’habituelle plinthe, comme si celle-ci s’était levée et contestait, le temps d’un instant imaginaire, son rôle passif et indiscerna­ble.

Ianick Raymond crée un parcours pictural qui sort des limites du cadre. En apparence. Une fois passée l’expérience de l’espace réel, le visiteur découvre une deuxième oeuvre, Reprise obstinée. Dans ce tableau en bonne et due forme, l’artiste reproduit, toujours en trompel’oeil, un amas de lattes, comme s’il s’agissait d’un cliché de l’autre oeuvre avant son installati­on. L’espace fictif de la peinture, malgré son rendu plus convention­nel, n’en est pas moins efficace.

 ?? VILLE DE MONTRÉAL ?? Photo du haut : Ianick Raymond,
100 planches (détail), 2018. Photo du bas : Julie Ouellet, Calquer une forêt – processus, été 2016. Se contraindr­e à se perdre / Peindre à nouveau
De Julie Ouellet / De Ianick Raymond.
À la Maison de la culture...
VILLE DE MONTRÉAL Photo du haut : Ianick Raymond, 100 planches (détail), 2018. Photo du bas : Julie Ouellet, Calquer une forêt – processus, été 2016. Se contraindr­e à se perdre / Peindre à nouveau De Julie Ouellet / De Ianick Raymond. À la Maison de la culture...
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