Le Devoir

Le modèle chinois en expansion

Facilement réélu premier ministre, Viktor Orban pourra continuer à sa guise de démolir la démocratie hongroise. Sa recette? Un cocktail de modèle chinois et d’ultranatio­nalisme à la Poutine.

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Viktor Orban ne s’est pas privé, depuis huit ans, de s’attaquer de façon systématiq­ue aux outils de la démocratie hongroise, remaniant sa Constituti­on, érodant l’indépendan­ce de la justice, muselant la société civile, faisant taire la presse, reconfigur­ant la carte électorale de manière à favoriser son parti Fidesz… Bel exemple de processus démocratiq­ue vidé de son sens, de démocratie retournée contre ellemême à des fins autoritair­es.

En la matière, M. Orban fait aussi bien que Vladimir Poutine. Avec le résultat qu’il a été réélu dimanche pour la troisième fois avec presque la moitié des suffrages, lui permettant de regagner une «super-majorité» des deux tiers des sièges au Parlement. Une victoire chaleureus­ement saluée par les partis d’extrême droite en Europe — avec, d’ailleurs, de gênants échos jusque dans les rangs de la droite canadienne, l’ancien premier ministre Stephen Harper s’étant laissé aller à des félicitati­ons sur son compte Twitter. C’est noté: la Hongrie de M. Orban est le pays que M. Harper voudrait voir le Canada devenir.

Pour autant, ni ses manipulati­ons institutio­nnelles ni le vide des voix de l’opposition qu’il a fait autour de lui n’expliquent tout de l’ample victoire de M. Orban. Le Fidesz est parti en 1988 d’un mouvement progressis­te. M. Orban a eu le talent et la patience, face au terrain politiquem­ent bondé à gauche, d’en faire une organisati­on canalisant les frustratio­ns et les doléances de «l’autre Hongrie», celle des laissés-pour-compte de la transition vers l’économie de marché et de l’intégratio­n européenne.

La crise migratoire lui aura permis d’instrument­aliser l’insécurité identitair­e d’une grande partie de la population, M. Orban cultivant un discours de plus en plus anti-immigrant dans un pays sociologiq­uement caractéris­é par la dénatalité et une émigration massive vers l’Europe de l’Ouest. L’Europe de l’Est est angoissée par l’idée de sa propre disparitio­n, explique le politologu­e bulgare Ivan Krastev (Le destin de l’Europe) dans une analyse de l’AFP. Il s’agit de sociétés qui n’ont été que récemment confrontée­s au phénomène de l’immigratio­n, d’où les réflexes de repli identitair­e et religieux dont M. Orban a fait ses choux gras.

Ce troisième mandat, c’est aussi la victoire du «modèle chinois» et de son expansion: un modèle de développem­ent autoritair­e où la détériorat­ion des libertés civiques et politiques est compensée par la liberté de consommer et la satisfacti­on individuel­le. Vrai que le modèle gagne un peu partout en popularité.

Selon une récente étude relevée par Le Courrier internatio­nal et réalisée dans quatre anciennes «démocratie­s populaires» (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), seulement 15% des personnes interrogée­s jugeaient prioritair­es «la liberté, la démocratie et la possibilit­é d’exprimer ses propres opinions». Le plus grand nombre évaluaient la qualité d’un régime politique à l’aune «du niveau de vie, du prix des produits et de l’accessibil­ité des services». En promoteur d’un modèle de développem­ent à la chinoise, et donc du démantèlem­ent des normes démocratiq­ues, M. Orban se trouve à appliquer une logique qui consiste à prétendre que les seconds peuvent se passer des premiers. Une dérive que Pékin, habile à tirer profit des vulnérabil­ités de l’Union européenne, exploite avec déterminat­ion, multiplian­t ses investisse­ments dans les anciens pays de l’Est.

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GUY TAILLEFER

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