Le Devoir

De l’amour, de l’art, et de la mort

L’auteur Gilles Voyer distille son expérience sous forme de lettres destinées à un jeune philosophe

- CAROLINE MONTPETIT

Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait. Avec son livre Gabriel et le philosophe, ou comment réfléchir aux turbulence­s de notre temps, qui paraît chez Fides, Gilles Voyer, philosophe et médecin de formation, fait un pas pour pallier l’écart des génération­s. Sous forme de lettres, le retraité répond à des préoccupat­ions avancées par un jeune homme qui a aujourd’hui vingt ans, Gabriel Caron.

À l’époque, le jeune homme sortait d’une adolescenc­e troublée, se posait des questions sur l’amour, sur l’avenir, sur la vie. «Au départ, il y a eu une rencontre», des conversati­ons plus ou moins à bâtons rompus qui abordent progressiv­ement des sujets plus sérieux, explique Voyer en entrevue.

Le jeune n’a pas fini son secondaire. «Malgré cela (ou peut-être à cause de cela !), il est en train de devenir un vrai philosophe», écrit Voyer dans son avant-propos.

« Ses lettres m’ont fait découvrir des choses dont je n’étais pas conscient», reconnaît pour sa part le jeune Caron en préambule de l’ouvrage.

Le philosophe livre à Gabriel ses réflexions, glanées au fil des ans, sur l’amour, sur l’art, sur la connaissan­ce et la compréhens­ion. Il aborde également les questions éthiques liées aux soins de fin de vie, à l’euthanasie, aux manipulati­ons génétiques, à l’économisme et au vitalisme.

Ces réflexions constituen­t davantage une boîte à outils qu’une leçon de vie, insiste Gilles Voyer en entrevue. En fin de compte, il y a des chemins qui ne s’empruntent que seul. Voyer puise dans ses lectures antérieure­s et remonte jusqu’à la mythologie grecque pour donner sa lecture du monde d’aujourd’hui.

Ainsi, pour parler de l’amour, le sujet de sa première lettre, il fait référence aux deux dieux Éros, de la mythologie grecque. Le premier Éros émerge du chaos et apporte au monde, «par son amour, l’énergie et la lumière». Le second, fils d’Aphrodite, que les Romains appellent Cupidon, «est sauvage et capricieux; il a le même caractère que sa mère ; le monde doit se soumettre à ses jeux». Voyer distingue ainsi l’homme qui aime et l’homme amoureux (il précise en préambule que ce vocable désigne aussi la femme) et estime que le second, fusionnel, fait le contraire de ce que peut le premier. Pour aborder le monde, le philosophe-médecin préconise l’approche intuitive plutôt qu’analytique et emprunte au philosophe Henri Bergson. L’homme analytique, expliquet-il, utilise des abstractio­ns. «Il ne connaît que le temps fractionné qui s’écoule. » L’homme intuitif, par contre, « sait immédiatem­ent, comme s’il était sympathiqu­e à tout ce qui est, sympathie par laquelle il saisit l’unicité de chaque chose ».

Pour Gilles Voyer, la médecine n’est pas une science. «La médecine qui traite est pratique plutôt qu’art, une pratique qui utilise la science, sans être elle-même une science », écrit-il.

Pourtant, la médecine moderne est selon lui beaucoup trop analytique, basée sur des symptômes, des signes, des tests, plutôt que d’aborder l’individu dans sa globalité.

« Une bonne médecine a besoin de deux choses, un esprit analytique, qui relève du domaine de la science, et une bonne intuition, qui relève du domaine de la philosophi­e», dit-il.

Or, la philosophi­e, bien que toujours enseignée de façon obligatoir­e au cégep, est facilement évacuée de la vie quotidienn­e, dit-il.

«Je ne sais pas ce qu’il reste [de la philosophi­e] aux cégépiens après leur cégep. En médecine, poursuit-il, l’aspect analytique est surdévelop­pé.» En matière de soins de fin de vie, Voyer affirme que «l’euthanasie est un homicide». Mais il dit aussi que le vitalisme, ou acharnemen­t thérapeuti­que, «cette idéologie qui fait de la vie organique de l’homme l’ultime critère de ce qu’est une vie humaine », est un contrehuma­nisme.

«Sont proportion­nés, tranchet-il, les soins et les traitement­s qui requièrent une quantité de ressources raisonnabl­e par rapport à leurs chances de succès et qui ont pour issue probable une vie de bonne qualité», tranche-t-il.

Voyer conclut son livre avec une «très, très courte histoire de la philosophi­e occidental­e», en synthétisa­nt en un paragraphe l’approche de différents penseurs, de Pythagore à Derrida.

GABRIEL ET LE PHILOSOPHE OU COMMENT RÉFLÉCHIR AUX TURBULENCE­S DE NOTRE TEMPS

Gilles Voyer Éditions Fides, Montréal, 2018, 171 pages

 ?? MICHAËL MONNIER LE DEVOIR ?? La philosophi­e, bien que toujours enseignée de façon obligatoir­e au cégep, est facilement évacuée de la vie quotidienn­e, estime le médecin de formation Gilles Voyer dans son dernier livre.
MICHAËL MONNIER LE DEVOIR La philosophi­e, bien que toujours enseignée de façon obligatoir­e au cégep, est facilement évacuée de la vie quotidienn­e, estime le médecin de formation Gilles Voyer dans son dernier livre.
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Gilles Voyer

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