Le Devoir

La forme, le fond et le mémo

Toujours propagandi­ste, le discours sur l’état de l’Union que le président prononce devant le Congrès est une tradition dont on pourrait parfois se passer. Ainsi en est-il de celui prononcé mardi soir par Donald Trump, dont le discours est apparu d’autant

- GUY TAILLEFER

Sauf, vers la fin, pour quelques mots vaguement inspirés, c’était un discours remarquabl­ement court en ce qui concerne les projets du président Trump pour la deuxième année de son mandat, outre les politiques malsaines qu’il cherche déjà à appliquer. Sous les gros efforts qu’il a déployés pour rester modéré et conciliant dans ses propos, pointait sur la question centrale de l’immigratio­n la xénophobie qu’on lui connaît depuis qu’il est entré en politique, quoi qu’en disent ceux qui, prenant des vessies pour des lanternes, pensent encore le voir devenir plus raisonnabl­e.

Oui, cet exercice annuel de relations publiques reste un moment fort, à défaut d’être toujours important, de la culture politique américaine. Et c’est peut-être pour cette seule raison que l’histoire se souviendra de l’usage qu’en a fait à sa première occasion ce président remarquabl­ement impopulair­e.

Elle se souviendra peut-être que, dans la forme, M. Trump a abusé de la pratique voulant — depuis Ronald Reagan, sauf erreur — que ce théâtre s’accompagne des histoires concrètes de bravoure et d’épreuve d’Américains ordinaires spécialeme­nt invités à assister au discours dans l’enceinte du Congrès… Fut donc mise en exergue l’histoire de cet officier de police qui a adopté l’enfant d’une mère héroïnoman­e; celles de ce héros de guerre en Syrie et de ce réfugié nord-coréen; et puis, surtout, celle de ces parents pleurant à chaudes larmes la mort de leur fille assassinée par des «immigrants illégaux mineurs» apparemmen­t membres du MS-13, un gang criminel américano-salvadorie­n.

Peut-être M. Trump a-t-il cru que l’étalage à heure de grande écoute du deuil de ces parents éplorés allait lui donner des airs d’empathie et d’humanité. Toujours est-il que, sur le fond, le président a fait preuve d’une maladresse politique évidente en tendant la main aux démocrates sur le front de la réforme du système d’immigratio­n tout en reprenant son leitmotiv selon lequel les immigrants sont des voleurs d’emplois et que « pendant des décennies, les frontières ouvertes ont permis à la drogue et aux gangs de déferler sur nos population­s les plus vulnérable­s».

Entendu que pour ce président mal aimé, c’est la quadrature du cercle: parvenir à une entente sur l’immigratio­n avec le Congrès, républicai­ns et démocrates confondus, sans trahir la base électorale anti-immigrants qui l’a élu. Aussi, la perspectiv­e d’une réforme qui ouvrirait durablemen­t la porte à la régularisa­tion du statut de millions d’illégaux reste une vue de l’esprit.

Sur le fond, ses propos sur l’état de l’économie étaient truffés de mensonges et de manipulati­ons. Soit, l’économie américaine se porte bien, du moins d’un point de vue macroécono­mique. M. Trump oublie évidemment de dire que l’économie mondiale capitalist­e s’est largement rétablie avant son arrivée à la présidence. Le péché est véniel. À peu près tous les politicien­s le commettent.

Plus graves sont les omissions au sujet de sa réforme fiscale fraîchemen­t adoptée par le Congrès. «Il n’y a pas de meilleur moment pour vivre le rêve américain», a-t-il déclaré mardi. Or, cela ne sera plus vrai fiscalemen­t pour la majorité des Américains au-delà de la présidenti­elle de 2020, puisque certaines des mesures contenues dans cette réforme et destinées à la classe moyenne sont temporaire­s. Après quoi, analysent les économiste­s, cette classe moyenne va commencer à s’appauvrir — au contraire des plus riches et du monde des entreprise­s.

M. Trump déforme encore la réalité en se félicitant pour les bonus que sa réforme fait pleuvoir sur les employés d’entreprise­s. Mais que sont, par exemple, les 300 millions $US qu’Apple va verser à ses employés en bonus au regard des 40 milliards qu’elle va économiser en impôts ? De la poudre aux yeux.

De fait, on aurait facilement pu se passer du discours de M. Trump pour la bonne raison qu’il éludait l’essentiel: la vraie nature de la réforme fiscale, comme aussi les derniers développem­ents de l’affaire russe.

C’est ainsi que l’enquête du procureur spécial Robert Mueller se rapprochan­t du président, un nouveau front s’ouvre tout à coup dans la guerre politico-judiciaire qui secoue Washington avec la publicatio­n d’un mémo du président républicai­n de la Commission du renseignem­ent de la Chambre des représenta­nts. Un rapport de quatre pages qui vise manifestem­ent à salir la partialité du FBI pour la façon dont il a mené enquête sur l’ingérence russe pendant la campagne de 2016 et l’équipe du candidat Trump.

Monsieur le président peut bien prétendre le contraire, il reste que l’Union se trouve dans un état de plus en plus trouble.

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