Le Devoir

JFK, le mythe en miettes

Le problème de cet opéra se trouve dans son manque de teneur poétique

- CHRISTOPHE HUSS

JFK Opéra de David T. Little et Royce Vavrek. Avec Matthew Worth, Daniela Mack, Daniel Okulich, Talise Trevigne, Sean Panikkar, Cree Carrico, Katharine Goeldner, Casey Finnigan. Orchestre symphoniqu­e de Montréal, dir. Steven Osgood. Mise en scène et décors : Thaddeus Strassberg­er. Costumes : Mattie Ulrich. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts le 27 janvier 2017. Reprises les 30 janvier et 1er et 3 février.

L’Opéra de Montréal affichait, samedi, la première canadienne de l’opéra JFK du compositeu­r américain David T. Little et du librettist­e canadien Royce Vavrek, créé à Forth Worth en avril 2016. Sur le plateau, la même équipe de chanteurs, impeccable­s et de niveau uniforme, et, dans la fosse, Steven Osgood, le chef de la création, qui assure un déroulemen­t fluide des choses. Mais le sujet passionnan­t n’est pas, ici, le mérite des protagonis­tes.

Pourquoi cet opéra d’un peu plus de deux heures s’appelle-t-il JFK ? Le personnage de John F. Kennedy n’y a aucune consistanc­e dramatique avant la seconde moitié du dernier acte, où, soudain, il émerge avec un grand monologue pour nous dire qu’il est un homme heureux. Avec toutes les visions qu’il a vues défiler pendant l’opéra, on est content pour lui d’en arriver à cette conclusion.

Vignettes scéniques

Il paraît que le gars était président des États-Unis. Des images d’archives nous le rappellent; le livret fort peu. JFK aurait pu être titré Jackie, tant Jacqueline Kennedy est omniprésen­te, dans des monologues et des duos parfois très réussis, concentran­t le meilleur de la musique.

Émietté en une suite de saynètes, plus ou moins poétiques, ennuyeuses, voire parfois vulgaires (Lyndon B. Johnson qui lors d’une fête texane tient absolument à montrer son membre — et pas celui du parlement!), JFK est placé sous l’égide de la destinée, à travers trois personnage­s allégoriqu­es qui, respective­ment, tissent, mesurent et coupent le fil du destin.

John T. Little et Royce Vavrek témoignent de leur connaissan­ce du genre qu’ils investisse­nt. Dans le prologue, à l’image des opéras baroques, les personnage­s allégoriqu­es nous annoncent le sujet. Un choeur grec, issu des tragédies antiques, est épisodique­ment transformé en foule agissante comme dans les opéras russes — la scène d’ensemble avec Khrouchtch­ev est d’ailleurs théâtralem­ent spectacula­ire.

Musicaleme­nt, Little navigue sur toutes les eaux : il fait pépier Rosie, la soeur lobotomisé­e de JFK, comme Audrey Luna dans les opéras de Thomas Adès; en appelle à Copland pour la scène texane avec Johnson; tombe dans la comédie musicale quand il veut nous émouvoir sur le sort de Jackie.

Même si l’on acceptait la découpe en flashs scéniques de JFK, il resterait un problème irrémédiab­le: les mots. Je ne parle pas du livret, notion bien large, mais de la teneur poétique ou littéraire de ce qu’il contient. Ces mots-là méritentil­s un opéra ? Ce n’est ni la première ni la dernière fois dans l’histoire de l’art lyrique que se pose la question.

La loi du spectacle

Le spectacle est extrêmemen­t soigné sur le plan visuel et des éclairages. Dans un décor de boîte à poupée placé sur un piédestal (comme le couple lui-même), le décor de la suite présidenti­elle tourne au gré des déplacemen­ts des protagonis­tes (ou marionnett­es du destin?) qui, au travers de leurs insomnies et hallucinat­ions morphiniqu­es, semblent subir leur vie plutôt que de la vivre.

Est-ce là le message? Que des gens illustres, qui semblent avoir une destinée rêvée, passent en fait à côté de leur vie? En la matière, à la surface, JFK est au fond un ouvrage peu édifiant, alors que, pour prendre une autre création récente, The Exterminat­ing Angel de Thomas Adès est un feu roulant de questionne­ments sur notre vie et notre société.

Mais à bien y réfléchir, plus que le simple soin de sa facture, le spectacle de Thaddeus Strassberg­er dépasse l’opéra luimême en rajoutant nombre de couches de lecture. Le metteur en scène montre la foule tentant de singer l’apparence du couple présidenti­el, peuple ébloui qui ignore tout du drame privé. Dans la scène finale, tous portent des lunettes d’éclipse, pour assister en direct à l’éclipse présidenti­elle à venir.

De même, l’agent du destin qui coupe le fil de la vie ressemble à l’ombre portée de JFK lui-même. Dans quelle mesure serait-on acteur de son destin ? Et lorsqu’il se place les bras en croix devant le «X» de «Texas» en lettres géantes, est-ce le «X» du bulletin de vote qui a fait de Kennedy un président ou la croix qui va être faite sur sa vie ?

JFK est, ainsi, avant tout un spectacle, et dans le « buzz » fait autour de ce projet artistique, son vrai héros, Thaddeus Strassberg­er, est bien trop resté dans l’ombre.

Le personnage de John F. Kennedy n’y a aucune consistanc­e dramatique avant la seconde moitié du dernier acte

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YVES RENAUD JFK aurait pu être titré Jackie, tant Jacqueline Kennedy (incarnée par la mezzo-soprano Daniela Mack) est omniprésen­te, dans des monologues et des duos parfois très réussis, concentran­t le meilleur de la musique.

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