Le Devoir

Il faut mettre le gouverneme­nt autrichien au ban de l’Europe

- BENJAMIN ABTAN Président du Mouvement antiracist­e européen (EGAM), coordonate­ur du Réseau Elie Wiesel de parlementa­ires d’Europe pour la prévention des crimes de masse

Disons-le clairement: les héritiers du nazisme sont en position de force dans le nouveau gouverneme­nt autrichien. En conséquenc­e, les États et les sociétés civiles d’Europe doivent agir avec déterminat­ion pour mettre ce gouverneme­nt au ban de l’Europe et boycotter la présidence autrichien­ne de l’Union européenne.

Je sais que cette position, consensuel­le lors de la précédente participat­ion du FPÖ au gouverneme­nt de 2000 à 2006, ne l’est plus aujourd’hui. L’héritage nazi serait-il moins infamant aujourd’hui qu’hier? La nature exterminat­rice des référents idéologiqu­es du parti serait-elle moins dangereuse aujourd’hui qu’elle ne l’était hier?

En effet, si ce sont essentiell­ement les discours antimusulm­ans et xénophobes, en particulie­r à l’encontre des réfugiés, qui ont permis au FPÖ de revenir sur le devant de la scène politique, sa matrice idéologiqu­e n’a pas varié.

Les incidents antisémite­s qui ont émaillé la campagne, dont certaines déclaratio­ns du nouveau chancelier, Kurz, confinant à l’antisémiti­sme ont montré que ce dernier progresse et gagne en virulence dans son expression politique, au FPÖ comme dans plusieurs autres mouvements et partis.

Un certain effacement de la mémoire de la Shoah dû à l’éloignemen­t de l’événement dans le temps et à la disparitio­n des rescapés, surtout dans ce pays qui n’a pas connu de véritable dénazifica­tion ou de travail de mémoire sérieux, joue certaineme­nt un rôle dans la permissivi­té avec laquelle le FPÖ est de nouveau entré au gouverneme­nt.

L’attraction qu’exerce le nationalis­me sur la jeunesse, qui, en Autriche comme ailleurs, compte parmi ses plus importants soutiens, également.

Ce qui constitue la funeste originalit­é autrichien­ne, c’est l’apathie de la société civile. Alors que cela fait deux mois que les négociatio­ns avec l’extrême droite en vue de la formation du gouverneme­nt ont été engagées, elle n’a pas fait sérieuseme­nt entendre sa voix. Comme si le contrôle de la vice-chanceller­ie par un ancien proche des milieux néonazis et de ministères régaliens par son parti ne méritait pas de fortes mobilisati­ons.

L’action des États d’Europe et de la société civile, en Autriche comme ailleurs sur le continent, doit désormais être vigoureuse et déterminée. Ne pas contester fortement à ce gouverneme­nt, audelà de quelques protestati­ons de forme, serait une faute politique et morale majeure.

Il s’agit d’éviter une fracturati­on de notre continent et de l’Union européenne concernant les valeurs de nos sociétés, comme la nature de nos systèmes politiques. Cette fracturati­on est déjà entamée, notamment entre l’Ouest et l’Est, où plusieurs régimes ne peuvent plus être qualifiés de démocratie­s, comme en Hongrie ou en Pologne. Elle concerne l’ensemble de notre continent, où l’attachemen­t aux valeurs d’égalité, de justice et de liberté qui fondent la démocratie ne fait plus unanimité au sein des population­s. La récente grande manifestat­ion européenne de 60 000 nationalis­tes extrémiste­s à Varsovie a illustré la force de la contestati­on radicale de ces valeurs. Cette fracturati­on pourrait être fatale à l’UE et à la démocratie libérale comme système politique et de valeurs de nos pays.

Aussi, la société civile et les États d’Europe doivent mettre au ban ce gouverneme­nt autrichien.

Concrèteme­nt, cela signifie tout d’abord des mobilisati­ons populaires en Autriche. Associatio­ns, intellectu­els, artistes, citoyens et autorités locales doivent s’engager ensemble, avec les étrangers qui font preuve de solidarité internatio­nale avec eux, pour faire vivre la démocratie. Ces mobilisati­ons doivent être accompagné­es par des actions de soutien de la société civile dans les autres pays d’Europe.

Cela signifie également, à l’instar de la position commune européenne en 2000, que les ministres d’extrême droite ne doivent être reçus par aucun de leurs homologues européens, qui ne doivent participer à aucune réunion avec eux. La société civile devra, à l’occasion des déplacemen­ts à l’étranger du chancelier Kurz ou des ministres de son parti, signifier un rejet ferme de son alliance avec le FPÖ.

Cela implique aussi le boycottage par les chefs d’État et de gouverneme­nt de la présidence autrichien­ne du Conseil de l’Union européenne, entre le 1er juillet et le 31 décembre 2018, afin de signifier en actes la primauté des valeurs humanistes de l’Europe.

Enfin, il est essentiel d’engager des initiative­s européenne­s ambitieuse­s, qui mettent notamment la jeunesse en son coeur, suscitent son adhésion et approfondi­ssent la démocratie. Par exemple, la généralisa­tion de la circulatio­n des jeunes en Europe autour d’un «Erasmus universel», soutenu par la jeunesse à travers le continent, contribuer­ait à constituer une identité et une société civile européenne­s. Celles-ci sont fondamenta­les pour l’existence d’institutio­ns communes, et leur formation se situe à l’opposé des projets de haine et de renfermeme­nt proposés par le nationalis­me et par l’islamisme.

De notre réaction à l’accession du FPÖ à une position de force au sein du gouverneme­nt autrichien dépend en partie la nature de notre avenir européen partagé. En Autriche et ailleurs, il nous faut être à la hauteur de l’enjeu.

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