Le Devoir

Assurance-emploi : le Canada a besoin d’un programme 2.0

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PIERRE CÉRÉ Coordonnat­eur du Comité Chômage de Montréal Lettre au premier ministre Justin Trudeau.

Le programme d’assurance-emploi n’est pas un programme social comme les autres. C’est une caisse qui a engrangé au cours de la dernière année étudiée plus de 23 milliards de dollars en cotisation­s versées par les employeurs et les salariés. Ce sont environ deux millions de citoyens et citoyennes canadiens qui ont déposé une nouvelle demande de prestation­s, dont près de 500 000 travailleu­rs et travailleu­ses du Québec.

À ceux qui croient encore que le «chômage» est un mode de vie, il convient de mentionner que, si la durée maximale moyenne d’une période de prestation­s pourrait être de 34 semaines, elle n’est pourtant en fait que de 19,9 semaines (18,4 au Québec). L’explicatio­n est simple: un chômeur demeure un travailleu­r et le chômage, une réalité temporaire. L’assurance-emploi est un programme qui vient suppléer pendant quelques semaines, au maximum quelques mois, à l’absence d’un revenu.

Ce programme a été considérab­lement malmené de 1990 à 2015. En effet, tous les gouverneme­nts qui se sont succédé pendant ces 25 ans ont imposé une série de compressio­ns visant à en réduire la portée, tout en dégageant des surplus mirobolant­s qui ont été détournés de leur destinatio­n.

Le Parti libéral du Canada a une histoire indissocia­blement liée à celle du programme d’assurance-emploi. Créé en 1940 par McKenzie King, ce programme est devenu universel en 1971, sous Trudeau père. C’est par contre un gouverneme­nt libéral qui, au cours des années 1990, a imposé les reculs parmi les plus importants.

Lors des élections de 2015, vous avez, Monsieur le Premier Ministre, mis en avant des propositio­ns visant à améliorer ce programme. À la surprise de plusieurs, vous avez réalisé l’ensemble de ces engagement­s, non seulement ceux visant à corriger l’héritage Harper, mais aussi certaines mesures ancrées depuis bien plus longtemps: abolition du critère d’admissibil­ité discrimina­toire pour les «nouveaux arrivants» (fixé à 910 heures) et réduction du délai de carence de deux à une semaine. Tout cela est à votre honneur. Mais il ne faut pas s’arrêter là.

Réalités diversifié­es

Tout a changé dans le monde du travail depuis 25 ans, sauf la vision limitée et bureaucrat­ique de l’assurance-emploi. En ce moment même, une partie importante de la population active est toujours exclue de ce programme et une majorité de chômeurs n’y a plus accès. Le programme ne répond pas aux réalités diversifié­es du monde du travail d’aujourd’hui (temps partiel, temporaire, autonome), ses critères d’admissibil­ité et ses rouages imposent des règles inéquitabl­es, souvent judiciaris­ées à l’extrême (à propos des raisons de fin d’emploi par exemple) et inutilemen­t compliquée­s.

De tous les pays de l’OCDE, le Canada est le seul pays à posséder un programme d’assurance-emploi qui fonde l’admissibil­ité et le calcul ainsi que la durée des indemnités sur le lieu de résidence du travailleu­r. Cela mène à toutes sortes d’aberration­s d’une région à une autre, à l’intérieur d’une même région, d’un secteur d’emploi à un autre. Les gens de la Haute-Côte-Nord et de Charlevoix en auraient long à dire sur le sujet… On pourrait parler aussi des prestation­s maladie, qui ont toujours été limitées à 15 semaines alors que l’incidence de maladies graves est en hausse.

Le moment est venu de se doter d’un programme d’assurance-emploi 2.0, adapté aux réalités actuelles du monde du travail. Il faut faire en sorte que les travailleu­rs et les travailleu­ses soient mieux protégés devant les différente­s situations de chômage. Il n’y a pas de meilleure conjonctur­e que celle que nous connaisson­s présenteme­nt pour chercher une solution, car il n’y a pas de pression sur le financemen­t de la caisse d’assurance-emploi. Le temps est venu de repenser ce programme. Ce que nous appelons toujours le «monstre à mille têtes» doit être relégué aux oubliettes. Les travailleu­rs et les travailleu­ses, moteurs de notre société, méritent un programme normal et adéquat.

Travaillon­s ensemble dans cette direction. Comme organisme qui accompagne les personnes au chômage, nous sommes prêts à y collaborer dans le meilleur esprit, les intérêts partisans n’ayant pas leur place ici.

Tout a changé dans le monde du travail depuis 25 ans, sauf la vision limitée et bureaucrat­ique de l’assurance-emploi

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