Le Devoir

Le film DPJ, une oeuvre de salut public

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Dix ans après avoir quitté le milieu de la DPJ, je n’arrive pas encore à oublier. Le film-vérité DPJ de Guillaume Sylvestre ravive les souvenirs et me fait comprendre, nonobstant les sollicitat­ions, les raisons de mon refus d’écrire sur ce que les cliniciens vivent et de ce qu’une vie aux confins de l’imaginable fait vivre.

Le film de Guillaume Sylvestre montre l’armée des ombres que constituen­t les éducateurs et les travailleu­rs sociaux, dans leur grandeur, leur patience et leur inépuisabl­e empathie. Quel que soit le lieu où se pose leur regard, c’est toujours dans une plaie cuisante. Y compris dans l’enceinte du tribunal, où se reprend un autre combat: mettre en mots et se mettre en scène devant une instance solennelle ce qui se traduit si mal et doit, néanmoins, être porté devant une autorité; se soumettre à un contre-interrogat­oire mené par deux, parfois trois avocats, un contre-interrogat­oire non dépourvu de reproches à ceux qui n’ont pas réussi le mandat d’éradiquer la part maudite de l’humanité.

C’est un film nécessaire, une oeuvre de salut public que tous les adultes doivent voir ; au premier chef, les responsabl­es institutio­nnels, ministres, juges, avocats, journalist­es, ainsi que tous ceux qui veulent embrasser ces vocations. Car c’est bien de vocations qu’il s’agit: «Éloignez de nous ce calice» n’est plus une option, alors que le combat clandestin de ceux qui sont aux premières loges de la détresse a été souvent mis en lumière par le sensationn­alisme indigné de soi-disant «ratés» du système; dans ce qui m’est souvent apparu comme une ignorance triomphant­e au détriment d’une réalité si complexe et si riche en déchiremen­ts.

Le film DPJ de Guillaume Sylvestre fait de nous des témoins. Sans analyse, sans rationalis­ation, au ras des émotions et de l’immersion. Non, il ne choisit pas son camp parce qu’il n’y a pas de camp à choisir. La mission des cliniciens est de protéger le développem­ent et la sécurité d’un enfant qui est dans une situation périlleuse. Oui, il y a des parents incompéten­ts, ils n’ont pas choisi de l’être. Notre regard sur eux doit s’éclairer de lucidité et éviter que leur douleur nous soit un voile. Ce sont les symptômes de leurs enfants qui sont nos lumières, c’est un éclairage qui fait mal. Et ces parents, ils sont encore d’anciens enfants. Louisiane Gauthier, ex-psychologu­e à la DPJ Montréal Le 19 novembre 2017

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