La relève musicale de Maniutenam s’illustre au Coup de coeur francophone
La relève musicale de la communauté innue de Mani-utenam s’illustre en ville ce mardi soir, alors que le cabaret du Lion d’or proposera sur une même affiche les auteurs-compositeurs-interprètes Shauit et Matiu, une soirée co-présentée par l’organisme Musique Nomade et Coup de coeur francophone. Le reggae du premier, en concert bonifié d’une section de cuivres, et le folk-rock du second, qui présentera son premier concert avec orchestre complet à Montréal, témoignent de la vigueur de la scène musicale de la communauté d’où sont issus Florent Vollant et Kashtin.
On ne s’y habitue toujours pas. C’était bluffant lorsqu’on l’a découvert il y a presque cinq ans avec ki tshinuau («Vous aussi», en langue innue), ce l’est encore aujourd’hui alors qu’on découvre enfin son premier album complet, lancé officiellement ce soir dans le cadre de Coup de coeur francophone. Shauit est fascinant.
Il a tout compris du reggae, le ton, le timbre, la flamme qu’il faut pour que la chanson se consume entre nos deux oreilles. Cet amour du reggae le suit depuis l’adolescence: «Ce qui m’a donné la piqûre, vers 14 ans, c’est la première fois que j’ai entendu le dancehall — le débit plus rapide, la musique plus rough, c’est un peu l’ancêtre du rap. C’est quelque chose qu’on n’entendait pas sur les radios. C’est venu me chercher grâce au contact que j’avais avec les cultures», dit celui qui a passé son adolescence dans une école multiculturelle du quartier SaintHenri, à Montréal, avant de retourner à Mani-utenam.
Le je comme le nous
Sa manière, son charisme, son interprétation, tout est rigoureusement fidèle au son new roots de Kingston, à un détail près: il ne chante pas en patois jamaïcain, mais en innu. Il est le seul sur la planète à offrir du reggae authentiquement innu. Son modèle ? Le légendaire DJ Papa San, l’une des plus singulières voix du dancehall de la fin des années 1980, converti au christianisme à la fin des années 1990 et aujourd’hui artiste gospel. Une dimension spirituelle qui va aussi chercher Shauit: «Il y a le mot Dieu dans presque toutes mes chansons… »
Quatre ans après la sortie d’un premier mircoalbum paraît donc Apu peikussiaku («Nous ne sommes pas seuls»). Il était temps, fait-on remarquer à l’artiste. « Ben d’accord avec toi ! » rigole aujourd’hui Shauit, qui explique ce délai par un passage « sombre », marqué par le décès de son père. « J’ai essayé de composer des chansons pendant cette période, elles étaient très négatives… J’ai repoussé la sortie du disque parce que je n’étais pas fier de mes chansons, et que j’ai pris mon temps pour en composer de nouvelles. Elles sont là, aujourd’hui. Enfin.»
«La musique nous aide à nous sortir de notre torpeur», ajoute Shauit. Il parle au je autant qu’au nous, ici: se sortir d’une mauvaise passe personnelle, se tenir debout en tant que peuple. «Je chante en tant qu’humain d’abord, Innu ensuite, d’une communauté qui a subi des injustices. Je chante le désir d’un rapprochement entre autochtones et non-autochtones, le désir de réconciliation. »
Grave et festif
Ce besoin de chanter la réalité des peuples des Premières Nations est également à l’origine de la démarche de Matiu, rockeur dans l’âme, fan de CCR et des Doors, de Jean Leloup et des Colocs, lui aussi originaire de Mani-utenam, à plus de 900km de Montréal. Son premier microalbum (qui porte son nom), paru le printemps dernier, l’a mené à interpréter Le bon gars de Desjardins sur l’album-hommage.
On ne pouvait trouver meilleur interprète pour celle-là: Matiu est la gentillesse incarnée, le vrai bon gars, capable aussi de canaliser sa rage dans son folk rugueux. «La première chanson que j’ai écrite s’intitule Indian Time, c’était en 2014, raconte Matiu. Je n’avais même pas l’ambition ou le désir de devenir musicien; j’ai seulement ressenti le besoin d’écrire cette chanson après avoir vu un film sur Sitting Bull », le mythique leader du peuple Lakota ayant résisté face au gouvernement des États-Unis qui l’a assassiné, à la fin du XIXe siècle. « J’avais une boule de rage en dedans de moi que je voulais évacuer… Je connaissais deux ou trois accords de guitare, et c’est sorti comme ça ! »
Profitant de l’appui de Wapikoni mobile, Matiu a enregistré dans son sous-sol, avec ses amis musiciens, les chansons qui allaient ensuite le mener aux quatre coins du Québec. Il décrit sa musique comme du «folk bipolaire», capable d’être grave et festif à la fois: « J’aime l’idée du bipolaire, parce que c’est sans limite, ma musique passe d’un extrême à un autre.»
Il retournera en studio dans quelques jours pour enregistrer son premier album complet, armé de ces chansons nouvelles qui évoquent «la recherche identitaire de l’autochtone moderne — savoir qu’estce qu’on fait, où on va, et surtout se souvenir d’où on vient. C’est l’Indien mélangé entre la réserve et la ville, parce qu’on passe notre temps à faire la route. C’est aussi un peu ça, la bipolarité dans ma musique ! »