Le Devoir

La Catalogne, rempart de la démocratie contre l’extrême droite

- PAUL ST-PIERRE PLAMONDON Conseiller spécial du chef du Parti québécois, Jean-François Lisée

Dans son discours prononcé récemment à Bruxelles, Carles Puigdemont demandait à l’Europe d’intervenir devant la répression de la Catalogne, affirmant que «tolérer la violence de l’extrême droite, c’est rompre avec l’idée de l’Europe, une erreur que tous les Européens paieront cher ». Son discours, fondé sur le pacifisme et le service de la démocratie, soulève l’hypothèse très sérieuse que les démocratie­s occidental­es se sont affaiblies à un point tel qu’elles s’approchent graduellem­ent de l’extrême droite.

Au cours des vingt dernières années, tant l’Europe que l’Amérique ont été le théâtre d’un processus de mondialisa­tion dans le cadre duquel la taille et l’influence des grandes entreprise­s transnatio­nales ont crû de manière exponentie­lle. Ces multinatio­nales ont notamment augmenté leur influence en s’infiltrant dans une classe politique perméable, finançant leurs activités tout en exploitant leur vulnérabil­ité devant les menaces de déménageme­nt d’entreprise­s et de représaill­es économique­s. Elles ont également assuré leur influence en acquérant les médias de masse et en les consolidan­t, substituan­t au passage au journalism­e du commentair­e politique aligné avec leurs propres intérêts. Ainsi, lentement mais sûrement, le pouvoir des entreprise­s se confond avec les pouvoirs politiques et médiatique­s qui ne forment plus qu’un.

Le fascisme est un régime politique qui a eu cours de 1936 à 1977 en Espagne et qui se caractéris­e justement, entre autres choses, par la concentrat­ion des pouvoirs politiques, médiatique­s, judiciaire­s et policiers entre les mains d’une poignée d’individus. Reposant largement sur la propagande, ce type de régime politique s’est caractéris­é historique­ment par la répression de sa propre population et par des niveaux de corruption très élevés.

Bien que l’Espagne ne soit vraisembla­blement pas un régime fasciste à l’heure actuelle, elle présente plusieurs symptômes d’un régime antidémocr­atique: de multiples conflits d’intérêts au sein d’une classe politique corrompue, un des pires classement­s au monde quant à l’indépendan­ce de ses tribunaux, des médias à ce point partisans qu’ils en sont risibles, un service policier entièremen­t contrôlé par le politique, et des gestes de répression de sa propre population.

L’Espagne en a ajouté une couche en limogeant le chef de la police catalane pour prendre le contrôle, en remplaçant les hauts fonctionna­ires de la Catalogne par ses propres délégués et en portant des accusation­s criminelle­s contre plusieurs élus catalans sur la base de leurs idées politiques. Simultaném­ent, les médias espagnols mènent une opération propagandi­ste d’intimidati­on de la Catalogne et de démonisati­on du mouvement souveraini­ste, avec la collaborat­ion de plusieurs médias de masse qui reprennent cette informatio­n sans se questionne­r et de certaines grandes entreprise­s qui participen­t volontiers à la mise en scène du déménageme­nt de leur entreprise. L’État est à ce point proche de ces entreprise­s et des médias de masse qu’il peut coordonner cette opération de peur avec en prime l’appui des États voisins, dont la réaction ressemble étrangemen­t à celle d’un cartel.

Impasse démocratiq­ue espagnole

Cet épisode honteux survient dans un contexte historique pas si lointain d’un régime franquiste qui a causé un tort inouï à la Catalogne, tant en matière d’assimilati­on des Catalans qu’en matière d’emprisonne­ments et d’assassinat­s. À ce titre, il est important de constater que, contrairem­ent à la mouvance souveraini­ste catalane qui se veut démocrate et pacifiste, la mouvance unioniste espagnole exhibe sans gêne des symboles, des chants ou des gestes issus du régime de Franco.

À cette impasse démocratiq­ue espagnole s’ajoute l’imposition, par l’Union européenne, d’un régime d’austérité qui s’attaque notamment à l’éducation de la population, lequel régime n’a jamais été approuvé démocratiq­uement par la population catalane. Ces dysfonctio­ns démocratiq­ues entraînent une montée de l’extrême gauche et du populisme, déstabilis­ant davantage la démocratie catalane. N’ayant aucun espoir de convaincre le pouvoir espagnol corrompu ou l’Union européenne de respecter la démocratie et de servir les intérêts de la population, de nombreux Catalans se sont donc tournés vers un projet de pays qui leur donnerait un petit État démocratiq­ue et pacifiste qui serait le leur, reprenant en quelque sorte l’hypothèse de Jane Jacobs dans The Question of Separatism que les unités nationales plus petites génèrent moins de corruption et sont plus proches de la réalité de leurs citoyens.

Le mouvement indépendan­tiste catalan se veut donc avant tout une réponse démocratiq­ue et pacifiste à cet affaibliss­ement des démocratie­s occidental­es, et non un projet fondé sur un nationalis­me intolérant, que l’on retrouve plutôt du côté unioniste espagnol.

L’hypothèse que la mondialisa­tion telle qu’elle a été conduite au cours des dernières années nous amène tranquille­ment vers des régimes antidémocr­atiques doit être prise au sérieux. Dans la mesure où l’usurpation des pouvoirs politiques, médiatique­s et policiers par des sphères d’intérêts privés fait aussi la manchette au Québec depuis plusieurs années, la démarche catalane devrait être suivie de près et encouragée par les Québécois. En effet, la Catalogne est en train de donner naissance à une version très démocrate du nationalis­me, fondé davantage sur le droit des citoyens de décider pour eux-mêmes, convainqua­nt plusieurs Européens nés à l’extérieur de la Catalogne d’appuyer leur mouvement. La Catalogne mérite notre soutien, non seulement parce qu’il s’agit de mettre fin à des décennies d’injustice vécue par les Catalans et de reconnaîtr­e un peuple qui agit de manière exemplaire pour obtenir son indépendan­ce, mais parce que leur démarche est intimement liée à la sauvegarde de la démocratie en Occident.

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