Le Devoir

Justin Trudeau dans la tourmente des Paradise Papers

M. Bronfman a martelé, par voie de communiqué, avoir « toujours respecté la loi, y compris celle en matière fiscale »

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Justin Trudeau s’est retrouvé sur la défensive, avec la fuite des Panama Papers, accusé par l’opposition de ne pas sévir contre l’évitement fiscal pour protéger ses amis comme Stephen Bronfman. Le premier ministre a martelé que l’Agence du revenu ferait enquête sur les révélation­s de cette fin de semaine, mais il a refusé de commenter le dossier de son bailleur de fonds.

Les révélation­s ont monopolisé la période des questions, aux Communes. Le chef conservate­ur, Andrew Scheer, a notamment accusé Justin Trudeau d’«hypocrisie», lui qui a proposé une réforme fiscale pour forcer les entreprise­s à payer leur juste part d’impôt alors que de richissime­s collaborat­eurs de son gouverneme­nt auraient profité d’évitement fiscal. «Pourquoi le premier ministre fait-il toujours payer les honnêtes familles de la classe moyenne tout en permettant à ses amis d’éviter de payer de l’impôt au Canada?»

«Nous sommes pleinement engagés à combattre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal abusif, a martelé sans relâche Justin Trudeau. Je vais laisser les individus concernés commenter leur propre situation. Mais je peux dire que l’Agence du revenu du Canada examine tous

«

Pourquoi le premier ministre fait-il toujours payer les honnêtes familles de la classe moyenne tout en permettant à ses amis d’éviter de payer de l’impôt au Canada ? Andrew Scheer, chef du Parti conservate­ur du Canada

les liens avec des entités canadienne­s et prendra toutes les mesures appropriée­s en ce qui concerne les Paradise Papers.»

Stephen Bronfman est un ami proche de la famille de Justin Trudeau. Il serait lié avec sa société d’investisse­ment familiale, Claridge, à une fiducie de plus de 60 millions de dollars américains qui se trouve aux îles Caïmans. La fiducie offshore a été mise sur pied par l’ex-sénateur et collecteur de fonds de Pierre Elliott Trudeau, Leo Kolber.

Plus de 25 milliards auraient été transférés à la fiducie Kolber au fil des ans, selon Radio-Canada et le Toronto Star qui ont consulté la dernière fuite des Paradise Papers. Des millions de dollars auraient échappé à l’impôt canadien.

La chef bloquiste, Martine Ouellet, estime que «le Parti libéral doit se dissocier» de Stephen Bronfman et que l’Agence du revenu doit faire enquête.

M. Bronfman est «président du financemen­t» du Parti libéral, comme le stipulait toujours le site Internet de la formation lundi après-midi. Au PLC, on a indiqué que M. Bronfman n’était qu’un «bénévole» et qu’il aidait le conseil d’administra­tion dans ses campagnes de financemen­t, «pas les décisions politiques».

Stephen Bronfman a martelé, par voie de communiqué, avoir «toujours respecté la loi, y compris celle en matière fiscale », et n’avoir «jamais financé ni utilisé de fiducie offshore». « Ses fiducies canadienne­s ont payé au gouverneme­nt canadien l’ensemble des impôts dus pour tous leurs revenus. […] L’unique prêt consenti il y a plus d’un quart de siècle à la fiducie Kolber a été remboursé dans un délai de cinq mois», a-til fait valoir, en soutenant qu’il «n’a jamais eu aucune autre implicatio­n de quelque nature que ce soit, ni directe ni indirecte, dans la fiducie Kolber ».

Que fera l’Agence du revenu? «Avoir une fiducie à l’étranger, c’est tout à fait légal, confirme Marwa Rizqy de l’Université Sherbrooke. C’est l’utilisatio­n qu’on en fait qui peut devenir illégale.»

Une fiducie établie à l’extérieur du Canada est considérée comme canadienne si elle est contrôlée au pays, note la professeur­e de fiscalité. Les Paradise Papers indiquent que la fiducie Kolber était en partie gérée depuis Montréal. Une informatio­n démentie par l’avocat de MM. Bronfman et Kolber.

«Dans les documents qu’on a vus, on parle d’“autorisati­on”, ça doit être “approuvé”, “autorisé”, relate Mme Rizqy, qui a consulté les milliers de pages.

Ces allégation­s sont graves. C’est pour ça que l’Agence du Revenu du Canada doit fouiller. »

La ministre du Revenu, Diane Lebouthill­ier, n’a pas voulu commenter le cas de M. Bronfman. Les divulgatio­ns le concernant la mènentelle­s à vouloir en faire plus pour contrer l’évitement fiscal ? «Ce qu’on fait est déjà bien », a-t-elle rétorqué en réitérant que près d’un milliard de dollars ont été investis à l’ARC depuis deux ans, permettant de récupérer près de 25 millions.

Mais le NPD somme le gouverneme­nt d’agir pour interdire carrément l’évitement fiscal. «Quand c’est légal, engager un inspecteur [à l’Agence du revenu], ça ne change rien», a déploré Alexandre Boulerice, en se demandant si le gouverneme­nt Trudeau « ne protège pas des amis de la famille libérale, en ne changeant absolument rien aux lois existantes et aux convention­s fiscales que nous avons avec certains paradis fiscaux ».

Le gouverneme­nt ne peut pas éliminer à lui seul les échappatoi­res fiscales, a plaidé le ministre de la Famille et du Développem­ent social Jean-Yves Duclos. «C’est quelque chose qui nécessiter­ait beaucoup de travail avec des pays étrangers.»

Faux, fait valoir Marwa Rizqy, qui note que plusieurs pays ont légiféré. Ottawa pourrait, notamment, abroger ses accords avec les paradis fiscaux, qui interdisen­t la double imposition. Certains experts craignent toutefois que les entreprise­s décident alors de ne pas rapatrier leurs revenus au Canada afin d’éviter l’impôt.

Ottawa pourrait en outre faire appliquer les lois qui existent contre la fraude fiscale, clame Mme Rizqy, qui s’explique mal l’issue d’un autre scandale, d’évasion fiscale cette fois-ci. De riches Canadiens ont réussi à conclure une amnistie avec l’ARC, après qu’il eut été révélé qu’ils avaient évité de payer de l’impôt grâce au cabinet comptable KPMG. La fiscaliste craint que les mêmes ententes se concluent cette fois-ci.

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SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE La ministre du Revenu, Diane Lebouthill­ier, n’a pas voulu commenter le cas de M. Bronfman.

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