Le Devoir

AUJOURD’HUI

Ottawa demande aux honnêtes citoyens empêtrés dans les filets de la sécurité post-2001 de prendre leur mal en patience

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Actualités › Des noms qui voyagent mal. D’honnêtes citoyens, parfois des enfants en très bas âge, ont de la difficulté à prendre l’avion parce qu’ils partagent le nom d’un présumé terroriste. Ottawa est prié d’agir.

Ils ont trois, quatre ou six ans, l’âge de l’innocence. Et pourtant, ils sont systématiq­uement arrêtés à l’aéroport, voient leur passeport saisi, leurs parents interrogés longuement. Parce qu’ils ont le malheur d’avoir un nom en partage avec de présumés terroriste­s inscrits sur la liste d’interdicti­on de vol du Canada. Ils demandent maintenant à Ottawa de débloquer les fonds nécessaire­s pour mettre sur pied un système qui leur permettrai­t de prouver facilement qu’il y a erreur sur la personne.

Plusieurs parents de mineurs se trouvant dans cette situation se sont déplacés à Ottawa pour présenter au gouverneme­nt de Justin Trudeau une pétition signée par 178 députés fédéraux de tous les partis, dont 17 ministres libéraux. Sulemaan Ahmed était du lot. Lorsqu’il voyage avec son fils de six ans, Adam Ahmed, tout se complique.

«La première fois que c’est arrivé, on se rendait à Boston pour aller voir jouer le Canadien de Montréal, car on est des fans », raconte au Devoir M. Ahmed père. La famille a été retardée, mais n’a pas raté son vol. La même chose s’est produite lorsque la famille s’est rendue à Cancún, au Mexique. Les autorités ont saisi le passeport du jeune pendant près d’une heure.

Jeff Matthews, un vétéran des Forces armées canadienne­s, vit la même chose avec son fils David, aujourd’hui âgé de six ans. «C’est Air Canada qui nous a dit qu’il est sur la liste», indique-t-il. Ils vivent des délais depuis que l’enfant est né. «Air Canada nous a suggéré de créer pour notre fils un compte Aéroplan. Mais ça ne règle pas le problème. Ça rend juste les choses plus faciles pour cette compagnie aérienne.» M. Matthews se désole de cette situation, car, note-t-il, «il doit y avoir des centaines de David Matthews au pays». Toutes les familles soutiennen­t qu’il leur est impossible d’obtenir d’Ottawa, comme cela existe aux ÉtatsUnis, un sésame qui leur permettrai­t de passer les contrôles malgré la concordanc­e.

Le gouverneme­nt libéral de Justin Trudeau reconnaît le problème, mais plaide l’impuissanc­e à court terme. Le Programme de protection des passagers (PPP, le nom officiel de la liste d’interdicti­on de vol) a été créé dans la foulée des attentats terroriste­s de 2001. Mais cette liste ne contient que des noms, confirme le ministère de la Sécurité publique. Il n’y a aucune autre informatio­n, comme la date de naissance ou le nom de jeune fille de la mère, qui permettrai­t de départager le vrai danger public du petit amateur de hockey de six ans. «C’est ce qui explique le grand nombre de faux positifs», admet Scott Bardsley, le porteparol­e du ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale.

Le projet de loi C-59 réformant les dispositio­ns antiterror­istes, encore à l’étude, prévoit une refonte du PPP. Il mettrait notamment en place un système par lequel une personne faussement recensée obtiendrai­t un numéro qui facilitera­it ses futurs vols. Amber Cammish, mère d’un enfant de quatre ans vivant le même problème, estime que le C-59 ne constitue pas une réponse satisfaisa­nte, car il prendra «des années» à être adopté puis mis en oeuvre. Le ministre Goodale l’invite à prendre son mal en patience, car instaurer des mesures intérimair­es ne lui paraît pas réaliste.

Cela implique, a-t-il fait valoir, de mettre en place «un important système informatiq­ue». «Je ne peux pas offrir d’échéancier, juste dire que je réalise à quel point c’est important. Je suis aussi frustré que tout le monde de ce problème persistant. »

En janvier 2016, le gouverneme­nt a demandé aux transporte­urs aériens de cesser de vérifier, dans le cas de passagers mineurs, si leur nom figure sur la liste des passagers indésirabl­es. Visiblemen­t, la consigne n’est pas respectée partout. Néanmoins, Ottawa maintient que l’inconvénie­nt de ces « faux positifs » est mineur. «En général, le délai ne devrait pas être de plus de 10 ou 15 minutes», affirme-t-on au ministère.

Mme Cammish estime que cela est «complèteme­nt faux». «Il y a des fois où des gens sont capables de passer en 15 minutes, mais j’ai moi-même attendu des heures avec ma fille de quatre ans. Air Canada a déjà retardé un vol pour nous pour s’assurer que nous arrivions à temps. Ce n’est pas un enjeu de quelques minutes. »

Yusuf Ahmed, pour sa part, rappelle que le problème persiste quand, comme lui, on atteint l’âge de la majorité. Le jeune homme de 19 ans s’inquiète de l’impact qu’une identifica­tion erronée pourrait avoir pour lui. Il a rappelé les cas de quatre Canadiens, dont Maher Arar, emprisonné­s et torturés à l’étranger sur la foi d’informatio­ns fautives fournies par le Canada. «Le Canada s’est excusé et a versé des dizaines de millions de dollars en compensati­on. Mais je vous demande: que faites-vous pour que cela ne m’arrive pas?»

178 députés fédéraux ont signé une pétition demandant à Ottawa de régler le problème

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SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE Sebastian Khan, 3 ans, a le malheur d’avoir un homonyme qui figure sur une liste de présumés terroriste­s interdits de vol. Conséquenc­e: sa mère, Heather Harder, perd un temps fou lorsqu’elle et son enfant veulent prendre l’avion. La mère et l’enfant,...

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