Le Devoir

Le boom de la finance responsabl­e

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN Collaborat­ion spéciale

Le secteur de la finance responsabl­e va bien. Au Québec en effet, 50 % de tous les placements et investisse­ments sont aujourd’hui jugés responsabl­es, contre 34% seulement en 2013. Dans ce contexte, le Réseau PRI Québec organise ce jeudi à Montréal le quatrième colloque québécois de l’investisse­ment responsabl­e, au cours duquel plusieurs études confirmant cette tendance seront dévoilées.

En 2016, l’épargne totale s’est montée au Québec à près de 910 milliards de dollars. Le montant des placements et investisse­ments qui sont allés vers des produits jugés socialemen­t responsabl­es s’élève quant à lui à 456 milliards de dollars, soit un peu plus de 50 % de la somme totale. C’est ce que révèle le Portrait 2016 de la finance responsabl­e dressé par l’Institut de recherche en économie contempora­ine (IREC) et dévoilé aujourd’hui. Un portrait publié tous les trois ans depuis 2006 et qui ne laisse aucun doute: ce type de placements gagne chaque année un peu plus en popularité.

«Si je ne considère que les placements responsabl­es sur les marchés financiers, soit la très grande majorité des actifs, nous parlons d’une hausse de 61% entre 2013 et 2016, après déjà une forte hausse de 70% entre 2010 et 2013», constate l’auteur du rapport et chercheur à l’IREC, Claude Dostie Jr.

Gestion du risque

Depuis le tout premier portrait, plusieurs choses ont changé dans le monde de la finance responsabl­e, et pas seulement en ce qui a trait aux montants investis. Les définition­s mêmes de ce qui est considéré comme de la finance responsabl­e ont évolué, souligne M. Dostie.

Pour faire simple, la finance responsabl­e est un terme générique qui couvre de nombreux supports d’investisse­ment sur lesquels placer son épargne. Parmi eux, des fonds éthiques (qui excluent les secteurs de l’armement, de l’alcool, du tabac, etc.), des fonds de développem­ent durable (qui prennent en compte des critères environnem­entaux), des fonds de partage (qui apportent leur soutien à une associatio­n humanitair­e ou caritative) ou encore des fonds d’épargne solidaire (qui privilégie­nt le développem­ent de l’économie locale et régionale, de l’insertion, de l’emploi et du microcrédi­t).

La finance responsabl­e est par ailleurs de plus en plus vue comme étant non seulement une force positive, mais aussi tout à fait rentable. La conscienti­sation croissante face à des phénomènes de délocalisa­tion, de financiari­sation, ou simplement au regard des enjeux de changement­s climatique­s, a mené les analystes et les investisse­urs à voir la gestion des enjeux environnem­entaux, sociaux et de gouvernanc­e (ESG) comme des occasions de mieux gérer les risques financiers. Devant la possibilit­é de chocs climatique­s ou simplement de boycottage, il devient rationnel de vouloir diminuer les risques liés à certains choix d’investir ou de placer son épargne, ou l’épargne de ses clients.

Un écosystème développé

«Chacun y va à son rythme, mais à terme tous seront appelés à accorder de plus en plus d’importance aux facteurs

ESG», croit pour sa part Matthieu Cardinal, vice-président, affaires publiques et partenaria­ts stratégiqu­es à Finance Montréal. L’organisme, créé en 2010 par les acteurs du milieu à l’invitation du gouverneme­nt du Québec, a pour mission de développer et de promouvoir l’industrie des services financiers du Québec. Il présente aujourd’hui une étude sur la place de Montréal dans le secteur de la finance responsabl­e. Résultat: la métropole se classe neuvième sur les dix villes étudiées. «Présenté comme cela, ce n’est pas très glorieux, commente-t-il. Et c’est certain que, comparée à Londres, à New York et à Paris, qui prennent les trois premières marches

du podium, Montréal est un petit joueur. Le fait que nous ne soyons pas une place boursière joue forcément en notre défaveur parce que les sommes en jeu ne sont pas à la hauteur, même en comparaiso­n de Toronto. Mais là où la métropole se défend très bien, c’est dans la perception.»

En plus de l’analyse chiffrée, Finance Montréal a en effet mené une cinquantai­ne d’entrevues avec des experts du monde entier. Et nombre d’entre eux estiment que Montréal, comparé à son activité financière, a un bon niveau d’activité dans la finance responsabl­e. Matthieu Cardinal croit lui aussi que l’écosystème montréalai­s en la matière est particuliè­rement développé.

« On note la présence de plusieurs types d’acteurs, analyse-til. Sur le terrain, des gestionnai­res d’actifs très investis tels que Fiera Capital, la Caisse de dépôt et placement du Québec, le Mouvement Desjardins ou encore les grands régimes de retraite. Il y a aussi le Réseau PRI Québec, très actif, la Banque de développem­ent du Canada. Les assureurs font beaucoup eux aussi, car ce sont les entreprise­s qui seront les premières financière­ment touchées en cas de montée des océans par exemple. Et puis, il y a aussi de plus en plus de fournisseu­rs de données. Il existe même une Chaire de recherche en finance responsabl­e à l’Université de Sherbrooke. »

Finance solidaire

Mais la finance responsabl­e, ce ne sont pas uniquement les milliards de dollars brassés par les fonds de pension. Ce sont aussi des sommes, plus ou moins importante­s, investies dans des entreprise­s d’économie sociale — coopérativ­es et OBNL —, et ce, afin de favoriser le développem­ent économique communauta­ire. C’est ce qu’on appelle la finance solidaire, et ce secteur est lui aussi en pleine expansion. L’étude de l’IREC révèle en effet une croissance de 30% dans les trois dernières années.

«Il peut s’agir de projets immobilier­s axés sur le communauta­ire, explique Philippe Garant, directeur général du Réseau d’investisse­ment social du Québec (RISQ). On voit par exemple de plus en plus de projets innovants tels que des coopérativ­es d’habitation étudiantes ou des bâtiments religieux qui doivent être transformé­s et qui cherchent à avoir une vocation sociale importante. Il y a aussi de plus en plus d’investisse­ments dans les entreprise­s d’économie sociale. »

Le Fonds de solidarité FTQ et la CSN, par l’intermédia­ire de Fondaction, investisse­nt ainsi dans ce type de structures. Certaines fondations commencent également à s’y intéresser.

«L’écosystème se met en place, conclut M. Garant. De plus en plus de projets émergent. De plus en plus de partenaire­s répondent présents. C’est certain que nous avons encore de belles années de croissance devant nous.»

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JACQUES GRENIER LE DEVOIR La finance solidaire permet de favoriser le développem­ent économique communauta­ire, comme les coopérativ­es d’habitation.

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