Le Devoir

Catalogne : légalisme ou démocratie ?

- GILBERT PAQUETTE Professeur, ex-député et ministre à l’Assemblée nationale du Québec

Dans la page Idées du Devoir du 5 octobre dernier, on trouve un réquisitoi­re contre le référendum catalan du 1er octobre sous le titre « À Madrid ou à Barcelone, la démocratie, c’est d’abord l’État de droit ». On y confond allègremen­t légitimité et légalité. Le référendum catalan est illégal selon une Constituti­on particuliè­rement rigide, il serait donc illégitime. Ce faux raisonneme­nt épouse la voie légaliste et dangereuse qu’a prise le gouverneme­nt d’Espagne en niant le droit démocratiq­ue du peuple catalan de choisir librement son statut politique. Cette thèse affirme en somme qu’il serait démocratiq­ue d’imposer par la force à tout un peuple millénaire jadis indépendan­t, les décisions d’une Cour constituti­onnelle au service d’un pouvoir espagnol, illégitime aux yeux d’une nette majorité de Catalans.

On va jusqu’à reprocher au président catalan, Carles Puigdemont, d’avoir voulu provoquer les événements du 1er octobre pour « trouver dans la violence de la Guardia civil la légitimati­on que la loi n’aurait jamais pu lui donner ». On va juste qu’à le tenir responsabl­e des violences perpétrées par la police espagnole, avant et pendant le référendum. C’est comme si n’avait pas eu lieu ce long processus qui a amené la majorité des députés catalans, élus légitiment en 2015, à recourir à un référendum unilatéral d’autodéterm­ination. Tout a pourtant été essayé depuis 2010 pour trouver une aire de dialogue avec l’État espagnol dans le cadre de la légalité établie par Madrid. Depuis le retrait par la Cour constituti­onnelle espagnole d’une partie importante de l’autonomie de la Catalogne, auparavant approuvée en Catalogne par réfé- rendum, et même par le gouverneme­nt espagnol socialiste de l’époque, les demandes répétées de rétablisse­ment de ce statut d’autonomie ont toujours été rejetées du revers de la main par Madrid.

Une Constituti­on illégitime

Ce blocage systématiq­ue a rendu la Constituti­on espagnole illégitime aux yeux d’une majorité de Catalans, comme en témoignent les énormes manifestat­ions marquant chaque année la fête nationale catalane et l’appui manifeste de la population à la tenue de ce référendum. Ce blocage a forcé le gouverneme­nt catalan à procéder unilatéral­ement par référendum, faute de pouvoir le faire de concert avec le gouverneme­nt espagnol, comme ce fut le cas lors du récent référendum sur l’indépendan­ce de l’Écosse ou, dans les faits au Québec, en 1980 et en 1995.

En cela, il a été appuyé par 70 % de la population. J’ai été témoin sur place de la déterminat­ion des Catalans à exercer leur droit de vote, malgré les accusation­s d’illégalité et les menaces de sanctions, une déterminat­ion démocratiq­ue, résolue et pacifique. Sous la pluie, j’ai vu de longues files d’électrices et d’électeurs, de tout âge, de toute condition sociale, attendant patiemment pendant des heures l’ouverture des bureaux de vote, retardée par les violences policières, par la saisie de boîtes de scrutin et de matériel électoral, par les attaques répétées sur les réseaux dans le but d’empêcher la communicat­ion des listes et des résultats électoraux. Sur 2300 lieux de vote, environ 400 ont été bloqués par la police, empêchant plus de 700 000 personnes qui voulaient voter de le faire. Sans ces violences et ces exactions, la participat­ion aurait probableme­nt dépassé les 60 % au lieu des 42 % actuels.

On reproche qu’il « n’y a eu, dans la campagne référendai­re qu’un seul camp, celui du OUI ». En effet, Madrid a réussi à empêcher que le vote se tienne dans des conditions normales. Il y a eu des demandes aux médias de ne pas diffuser les informatio­ns sur le référendum. Les partis opposés à l’indépendan­ce ont pour la plupart boycotté le scrutin plutôt que défendu leur position. D’autres personnes ont eu peur de s’exprimer devant les menaces de Madrid. Tous ces facteurs expliquent le OUI ait obtenu 90% des suffrages exprimés.

On peut rappeler ici cette phrase de Louis-Joseph Papineau : «Il n’y a d’autorité légitime que celle qui a le consenteme­nt de la majorité de la nation. Il n’y a de constituti­ons sages et bienfaisan­tes que celles sur l’adoption de laquelle les intéressés ont été consultés et auxquelles les majorités ont donné leur libre accord.» La Constituti­on espagnole n’est pas « sage et bienfaisan­te » pour les Catalans. La démocratie, oui, c’est l’État de droit, mais un État de droit respectueu­x et respecté, voulu et défini par les citoyens. En Catalogne, le 1er octobre, l’État de droit était dans la rue en train de voter, contestant de fait la Constituti­on d’un État qui l’englobe à ses conditions et, désormais, contre son gré.

La violence, perpétrée par l’État espagnol, a placé les Catalans devant une impasse, à nouveau. Appuyer cet «État de droit» revient à priver tout un peuple de son pouvoir démocratiq­ue, à l’enfermer pour toujours sous le joug d’une légalité qu’il récuse. Le seul choix consiste donc à établir une nouvelle légalité, une Constituti­on catalane, élaborée par une Assemblée constituan­te démocratiq­ue et adoptée par le peuple, par référendum.

Malgré les différence­s entre nos situations respective­s, en Catalogne comme au Québec, la démocratie passe par une démarche constituan­te fondée sur le pouvoir du peuple exercé librement. La pression internatio­nale doit s’exercer en ce sens.

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